Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4521

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 265-266).

4521. — À M.  L’ABBÉ D’OLIVET.
À Ferney, tout près de votre Franche-Comté, 10 avril.

Mais, mon maître, est-ce que vous n’auriez point reçu un paquet que je fis partir, il y a trois semaines, à l’adresse que vous m’aviez donnée ? ou mon paquet ne méritait-il pas un mot de vous ? ou êtes-vous malade ? ou êtes-vous paresseux ?

Eh bien ! voilà votre ancien projet de donner un recueil d’auteurs classiques qui fait fortune. Rien ne sera plus glorieux pour l’Académie, ni plus utile pour les Français et pour les étrangers. Il est temps de prévenir (j’ai presque dit d’arrêter) la décadence de la langue et du goût. Quel grand homme prenez-vous pour votre part ? Pour moi, j’ai l’impudence de demander Pierre Corneille. C’est La Rose qui veut parler des campagnes de Turenne. Je vous dirai : Cornelium, Olivete, relegi.


Qui, quid sit magnum, quid turpe, quid utile, quid non,
Planius ac melius Rousseau multisque docebat ;

(Hor, lib. I, ep. ii, 3, 4.)


et j’ajouterai :


Quam seit uterque, libens, censebo, exerceat artem.

(Hor., lib. I, ep. xiv, 44.)

La tragédie est un art que j’ai peut-être mal cultivé ; mais je suis de ces barbouilleurs qu’on appelle curieux, et qui, étant à peine capables d’égaler Person[1], connaissent très-bien la touche des grands maîtres. En un mot, si personne n’a retenu le lot de Corneille, je le demande, et j’en écris à M.  Dnclos. Je crois que vous avez fait une très-bonne acquisition dans M.  Saurin. Il est littérateur et homme de génie. Dites-moi qui se charge de La Fontaine. Je l’avais autrefois commencé sur le projet que vous aviez ; mais je ne sais ce que cela est devenu. J’ai perdu dans mes fréquentes tournées les trois quarts de mes paperasses, et il m’en reste encore trop. Vive, vale, scribe, Ciceroniane Olivete.

  1. Connu par l’épipramme de J. -B. Rousseau (livre II, xxviii) :
    Gacon, rimailleur subalterne,
    Vante Person le barbouilleur.