Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4664
Mes divins anges, la nouvelle du ministère de M. le comte de Choiseul n’est donc pas vraie, puisque vous ne m’en parlez pas dans votre lettre terrible du 21 auguste ? Je lui ai fait mon compliment sur la foi des gazettes. Si la nouvelle est fausse, mon compliment subsiste toujours, comme dit Dacier : Ma remarque, dit-il, peut être trouvée mauvaise, mais elle restera.
Mes chers anges, il est vrai qu’il y a un Legouz à Dijon, parent de M. de La Marche[1]. Faisons donc comme Nollet, qui avait imaginé une Mme Truchot, avec laquelle il couchait régulièrement ; quand il l’eut vue, il lui dit, pour s’excuser, qu’il n’y coucherait plus. J’ai demandé à M. de La Marche le nom de quelques académiciens de Dijon, mes confrères ; il m’a nommé un Picardet. Picardet me paraît mon affaire. Je veux que Picardet soit l’auteur du Droit du Seigneur. Picardet est mon homme. Voici donc la préface de Picardet[2] ; puisse-t-elle amuser mes anges !
Je vous dis, moi, qu’il y a plus de trente fautes dans l’édition de Prault ; que Prault fils est un franc fieux. Et, s’il vous plaît, pourquoi prenez-vous son parti ? que vous importe ? en quoi, mes anges, les négligences de Prault peuvent-elles retomber sur vous ? qu’a de commun Prault avec mes anges ?
C’est, ce me semble, Mlle Quinault qui me retrancha de l’Enfant prodigue des vers que Mme de Pompadour voulut absolument dire quand elle le joua, et que tout le monde comique veut réciter. Qu’est-ce que cela vous fait ? Pour Dieu, laissez-moi crier sur mes vers :
Paris est au roi,
Mes vers sont à moi ;
Je veux m’en réjouir,
Selon mon plaisir[3].
Vous me mandez douze, Parme dit trente ; voici le nœud : c’est, à ce que je présume, qu’on avait d’abord dit douze, et qu’ensuite on a eu la noble vanité des trente. Puisse mon Commentaire ne pas aller à trente volumes ! Mais je vois qu’il sera prolixe. Les Cramer feront tout comme ils voudront : les détails me pilent, comme dit Montaigne[4].
Songez que j’ai trente-deux pièces[5] à commenter, dont dix-huit inlisibles ; plaignez-moi, encouragez-moi, ne me grondez pas, et aimez votre créature, qui baise le bout de vos ailes.
- ↑ Voyez page 416.
- ↑ On n’a point trouvé cette préface. (K.) — Voyez tome VI, page 3.
- ↑ Parodie de la chanson populaire, sur l’air de la Camargo :
Paris est au roi,
Mon… ost à moi, etc. (B.) - ↑ Montaigne parle de la mort, et dit : « Je la gourmande en bloc : par le menu elle me pille. » (Livre III, chap. iv, dixième alinéa.)
- ↑ Dans son Siècle de Louis XIV (voyez tome XIV, page 57), Voltaire dit que P. Corneille a composé trente-trois pièces. S’il n’en compte ici que trente-deux, c’est qu’il ne compte pas Psyché, que Corneille fit avec Molière, et qu’on a toujours mise dans les œuvres de ce dernier, et rarement dans celles du père du théâtre français.
Voltaire n’a pas compris Psyché dans son édition de Corneille. Il a parlé de cette pièce dans sa Vie de Molière ; voyez tome XXIII, page 123.