Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4663

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 429-430).

4663. — À M. DAMILAVILLE.
Le 7 septembre.

Comment, morbleu ! frère Damilaville, qui est à la tête de trente bureaux, se donne de la peine pour les frères, se trémousse, écrit ; et frère Thieriot, qui n’a rien à faire, ne nous donne pas la moindre nouvelle !… il écrit une fois en un mois !… Quel paresseux nous avons là ! Vive frère Damilaville !

Un de nos frères m’a régalé d’un gros paquet qui contient un gros poème en cinq gros chants, intitulé la Religion d’accord avec la Raison. Je ne doute en aucune manière de cet accord ; mais les frères me condamnent-ils à lire tant de vers sur une chose dont je suis si persuadé ? Je n’ai pas un moment à moi, et ma faible santé ne me permet pas une correspondance bien étendue. L’auteur, nommé M. Duplessis de La Hauterive, est sans doute connu de mes frères. Je les supplie de me plaindre et de m’excuser auprès de M. de La Hauterive ; je mets cela sur leur conscience.

Frère Thieriot ne me mande point comment on a distribué les rôles de la pièce de M. Legouz. Ce n’est pas que je m’en soucie ; mais ce M. Legouz est un homme très-vif et très-impatient. J’ai souvent des disputes avec lui. Il veut bien qu’une comédie intéresse, mais il prétend qu’il doit toujours y avoir du plaisant. Il m’a presque converti sur cet article, et je commence à croire qu’on a besoin de rire.

Je me plains de Thieriot ; mais mon académicien de Dijon se plaindra bien davantage si les comédiens ajoutent la moindre chose au Droit du Seigneur. Ils le gâteraient infailliblement, comme ils gâtèrent l’Enfant prodigue. Je serai plus inflexible pour les ouvrages de mes amis que je ne l’ai été pour les miens. On a fait tout ce qu’on a pu, dans Tancrède, pour me rendre ridicule ; je ne souffrirai pas qu’on en use ainsi avec mon petit académicien.

J’ai chez moi l’abbé Coyer. Je suis encore à concevoir les raisons pour lesquelles on l’a fait voyager quelque temps[1] ; il faut que j’aie l’esprit bien bouché.

Je m’unis toujours aux prières des frères, et je salue avec eux l’Être des êtres.

  1. La publication de l’Histoire de Sobieski ; voyez la lettre 4508.