Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4782

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 558-559).

4782. — À M. JEAN SCHOUVALOW.
Aux Délices, 23 décembre.

Monsieur, je dépêche à M. le comte de Kaunitz un gros paquet, à votre adresse. Il contient un volume de l’Histoire de Pierre le Grand, imprimé avec les corrections au bas des pages, et les réponses à des critiques. Votre Excellence jugera aisément des unes et des autres. J’en garde un double par devers moi. Quand vous aurez examiné à votre loisir ces remarques, qui sont très-lisibles, vous me donnerez vos derniers ordres, et ils seront exactement suivis. J’ai réformé, avec la plus scrupuleuse exactitude, les nouveaux chapitres qui doivent entrer dans le second volume, et je me suis conformé à vos remarques sur ces premiers chapitres, en attendant vos ordres sur ceux qui commencent par le procès du czarovitz, et qui finissent à la guerre de Perse. Il restera alors très-peu de chose à faire pour achever tout l’ouvrage, et pour le rendre moins indigne de paraître sous vos auspices. Je suis persuadé que vous ne voulez pas que j’entre dans les petits détails qui conviennent peu à la dignité de l’histoire, et que votre intention a été toujours d’avoir un grand tableau qui présentât l’empereur Pierre dans un jour toujours lumineux. L’auteur d’une histoire particulière de la marine peut dire comment on a construit des chaloupes, et compter les cordages ; l’auteur d’une histoire des finances peut dire ce que valait un altin[1] en 1600, et ce qu’il vaut aujourd’hui ; mais celui qui présente un héros aux nations étrangères doit le présenter en grand, et le rendre intéressant pour tous les peuples ; il doit éviter le ton de la gazette et le ton du panégyrique. Je suis convaincu que vous ne pouvez penser autrement. J’ai eu l’honneur, monsieur, de vous écrire plusieurs lettres ; je me flatte que vous les avez reçues, et que vous avez accepté l’hommage que je vous offre d’une tragédie nouvelle[2] que nous représenterons en société, le printemps prochain, dans mon petit château de Ferney. J’aurai la consolation de dire au public tout ce que je pense de votre personne. Je vous souhaite d’heureuses et de nombreuses années ; je serai, pendant celles où je vivrai, avec le plus tendre et le plus respectueux attachement, etc.

  1. Monnaie de Russie ; cent altins valent un rouble, qui vaut environ cinq francs. (B.)
  2. Olympie.