Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4786

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 561-562).

4786. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].

Aux Délices, 24 décembre 1761.

Madame, la grande maîtresse des cœurs dira peut-être à Votre Altesse sérénissime que les yeux ne se trouvent point bien du tout des vents du nord et de la neige. Elle demandera grâce pour moi, si je ne vous écris pas de ma main.

Votre Altesse sérénissime passe donc continuellement en revue des Prussiens et des Français. Votre palais ressemble à la maison de Polémon, du roman de Cassandre[2], dans laquelle les héros des deux partis se trouvent tous sans savoir pourquoi. S’ils y venaient uniquement pour vous faire leur cour, et pour apprendre ce que c’est que la raison ornée des grâces, je n’aurais pas de reproches à leur faire.

J’ai mille grâces à rendre à Votre Altesse sérénissime du paquet de madame de Bassevitz. Je voudrais que cette dame s’amusât à faire des mémoires de tout ce qu’elle a vu et de tout ce qu’elle voit : car il me paraît qu’elle voit tout très-bien, et qu’elle écrit de même. Il faut qu’elle aime bien son château pour y rester exposée aux visites des Prussiens, des Hanovriens et des Russes. Si les choses de ce monde allaient d’une manière un peu plus honnête, nous devrions être à vos pieds, Mme de Bassevitz et moi. Ce n’est pas que je me plaigne de ma position, elle est assurément très-agréable ; mais elle est trop éloignée de la belle forêt de Thuringe.

Si vous aimez les sermons, madame, en voici un[3] qu’on vient de m’envoyer de Smyrne, et qui pourra vous édifier. Si vous étiez reine de Portugal, je ne prendrais pas cette liberté ; mais une duchesse de Saxe philosophe peut très-bien lire le Sermon d’un rabbin, sans scandale.

Je me mets aux pieds de Vos Altesses sérénissimes avec le plus profond respect.


Le Suisse V.

    Pologne a souscrit pour cinquante, qui lui ont été remis. » Cette note paraît être du chevalier de Boufflers, fils de la marquise. (A. F.)

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Par La Calprenède, 10 vol. in-12.
  3. Le Sermon du rabbin Akib.