Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4796

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4796. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
4 janvier.

Mes divins anges, songez donc que je ne peux pas faire copier toutes les semaines un Cassandre. Ne serait-il pas amusant que je vous renvoyasse l’ouvrage cartonné, que vous mêle renvoyassiez apostillé, et que toutes les semaines vous vissiez les changements en bien ou en mal ? Rien ne serait plus aisé. Si vous pensez avoir la pièce telle qu’elle est, vous êtes loin de votre compte. Dépêchez-moi un exemplaire, et sitôt qu’il sera arrivé, vite des cartons, et mes raisons en marge ; et le lendemain le paquet repart, et la poste est toujours chargée de rimes. Cela est juste, puisque j’ai fait Cassandre en poste.

Mme  de Fontaine n’aime pas Cassandre ; Mme  Denis l’aime beaucoup ; Mlle  Corneille n’y comprend pas grand’chose : ce qui est sûr, c’est que cet ouvrage nous amusera.

Mme  Denis m’a fait entendre qu’elle avait écrit à mes anges des choses que je désavoue formellement. Je ne suis pas si pressé d’imprimer. Il est vrai que je ne pourrai guère me dispenser de donner Cassandre dans quelques mois, parce qu’il y a une personne au bout du monde[1] qui a la rage d’avoir une dédicace, et qu’il est bon d’avoir des amis partout ; mais je ne me presserai point.

Crébillon me fait lever les épaules ; c’est un vieux fou à qui il faut pardonner.

L’alliance, le pacte de famille[2], le plaisir de me voir tout d’un coup Catalan, Napolitain, Sicilien, Parmesan, m’a d’abord transporté ; mais si l’Espagne n’attaque pas les Anglais avec cinquante vaisseaux de ligne, je regarde le traité comme des compliments du jour de l’an. Je veux qu’on batte les Anglais et Luc, et qu’on ne siffle ni Zulime ni Cassandre.

Mes anges, je baise le bout des ailes.

  1. Jean Schouvalow ; voyez la lettre 4749.
  2. Nom du traité entre la France et l’Espagne, du 15 août 1761.