Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4811
Avez-vous, monseigneur, daigné recommencer Rodogune, que j’eus l’honneur d’envoyer à Votre Éminence il y a un mois ? Vous avez pu faire lire les Commentaires en tenant la pièce, c’est un amusement ; dites-moi donc quand j’ai raison et quand j’ai tort : c’est encore un amusement.
En voici un autre : c’est mon œuvre de six jours, qui est devenu un œuvre de six semaines. Vous verrez que j’ai profité des avis que vous avez bien voulu me donner. Il n’y a que ce poignard qu’on jette toujours au nez ; mais je vvvous promets de vous le sacrifier. J’aime passionnément à consulter ; et à qui puis-je mieux m’adresser qu’à vous ? Aimez toujours les belles-lettres, je vous en conjure : c’est un plaisir de tous les temps, et, per Deos immortales, il n’y a de bon que le plaisir, le reste est fumée ; vanitas vanitatum[1], et afflictio spiritus[2]. Quand vous aurez lu ma drogue, Votre Éminence veut-elle avoir la bonté de l’envoyer à M. le duc de Villars, à Aix ? Il a vu naître l’enfant ; il est juste qu’il le voie sevré, en attendant qu’il devienne adulte.
Je fus tout ébahi, ces jours passés, quand le roi m’envoya la pancarte du rétablissement d’une pension que j’avais autrefois, avec une belle ordonnance. Cela est fort plaisant, car il y aura des gens qui en seront fâchés. Ce ne sera pas vous, monseigneur, qui daignez m’aimer un peu, et à qui je suis bien tendrement attaché avec bien du respect.
P. S. Je me flatte que votre santé est bonne ; il n’en est pas de même de celle du roi de Prusse, ni même de la mienne ; je m’affaiblis beaucoup.