Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4838
Puisque vous êtes si bon, monseigneur, puisque les beaux-arts vous sont toujours chers. Votre Éminence permettra que je lui envoie mon Commentaire sur Cinna ; elle me trouvera très-impudent ; mais il faut dire la vérité : ce n’est pas pour les neuf lettres qui composent le nom de Corneille que je travaille, c’est pour ceux qui veulent s instruire.
La critique est aisée, et l’art est difficile[1].
grand vide, qu’il faut remplir par quelque chose de mieux. Vous possédez le feu sacré ; mais avec quels aromates le nourrirez-vous ? Je vous avoue que je suis infiniment curieux de savoir ce que devient une âme comme la vôtre. On dit que vous donnez tous les jours de grands dîners. Eh ! mon Dieu, à qui ? J’ai du moins des philosophes dans mon canton. Pour que la vie soit agréable, il faut fari quæ sentias[2]. Contrainte et ennui sont synonymes.
Vous ne vous douteriez pas que j’ai fait une perte dans l’impératrice de Russie[3] : la chose est pourtant ainsi ; mais il faut se consoler de tout. La vie est un songe ; rêvons donc le plus gaiement que nous pourrons. Ce n’est pas un rêve quand je vous dis que je suis enchanté des bontés de Votre Éminence, que je suis son plus passionné partisan, plein d’un tendre respect pour elle.
- ↑ Destouches, Glorieux, acte II, scène v.
- ↑ Horace, livre I, épître iv, vers 9.
- ↑ Elle avait souscrit pour deux cents exemplaires à l’édition du Théâtre de Pierre Corneille avec des commentaires ; voyez lettre 4762.