Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4880

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4880. — À MADEMOISELLE ***.
Aux Délices, le 15 avril.

Il est vrai, mademoiselle, que, dans une réponse que j’ai faite à M. de Chazelles[1], je lui ai demandé des éclaircissements sur l’aventure horrible de Calas, dont le fils a excité ma douleur autant que ma curiosité. J’ai rendu compte à M. de Chazelles des sentiments et des clameurs de tous les étrangers dont je suis environné ; mais je ne peux lui avoir parlé de mon opinion sur cette affaire cruelle, puisque je n’en ai aucune. Je ne connais que les factums faits en faveur des Calas, et ce n’est pas assez pour oser prendre parti.

J’ai voulu m’instruire en qualité d’historien. Un événement aussi épouvantable que celui d’une famille entière accusée d’un parricide commis par esprit de religion ; un père expirant sur la roue pour avoir étranglé de ses mains son propre fils, sur le simple soupçon que ce fils voulait quitter les opinions de Jean Calvin ; un frère violemment chargé d’avoir aidé à étrangler son frère ; la mère accusée ; un jeune avocat[2] soupçonné d’avoir servi de bourreau dans cette exécution inouïe ; cet événement, dis-je, appartient essentiellement à l’histoire de l’esprit humain et au vaste tableau de nos fureurs et de nos faiblesses, dont j’ai déjà donné une esquisse.

Je demandais donc à M. de Chazelles des instructions, mais je n’attendais pas qu’il dût montrer ma lettre. Quoi qu’il en soit, je persiste à souhaiter que le parlement de Toulouse daigne rendre public le procès de Calas, comme on a publié celui de Damiens. On se met au-dessus des usages dans des cas aussi extraordinaires. Ces deux procès intéressent le genre humain ; et si quelque chose peut arrêter chez les hommes la rage du fanatisme, c’est la publicité et la preuve du parricide et du sacrilège qui ont conduit Calas sur la roue, et qui laissent la famille entière en proie aux plus violents soupçons. Tel est mon sentiment.

  1. Elle est perdue. (B.)
  2. Lavaysse.