Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4904

La bibliothèque libre.

4904. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Le 21 mai, aux Délices.

Madame, j’ai été sur le point d’aller voir si l’on fait autant de sottises dans l’autre monde que dans celui-ci. Tronchin et la nature m’ont fait différer le voyage. Voilà ce qui m’a privé de l’honneur d’écrire à Votre Altesse sérénissime. Je la suppose actuellement entourée d’officiers français qui lui font la cour, en attendant que des Prussiens viennent se présenter à son audience : car il me parait que toutes les nations font ce qu’elles peuvent pour venir vous faire leur révérence, et que vous n’avez pas toujours le choix. Les Russes pourront bien venir aussi à Gotha prendre des leçons de politesse.

Sérieusement, madame, j’aime mieux le temps où j’étais si paisible dans votre palais, et où il n’y avait dans vos États d’autres troupes que les vôtres. Votre Altesse sérénissime permettra-t-elle que je prenne la liberté de lui adresser ma réponse à Mme  la comtesse de Bassevitz[2] ? Je ne sais où la prendre, et j’ignore à quelle armée appartient actuellement son château. Dieu veuille renvoyer bientôt à la culture de la terre tant de gens qui la désolent et qui l’ensanglantent sans savoir pourquoi ! On dit que si nous avions la paix, j’aurais le bonheur de voir à Genève les princes vos fils. Ce serait pour moi la plus grande des consolations dans la douleur où je suis de sentir que je suis privé, probablement pour jamais, de la présence de leur adorable mère. Cette paix me paraît encore bien éloignée. Le feu a pris aux deux bouts de l’Europe. On bat le tambour depuis Gibraltar jusqu’à Archangel : cela prouve que les hommes sont fous du midi au nord. Que votre auguste famille soit tranquille au milieu de tant d’orages ! que la grande maîtresse des cœurs se souvienne du pauvre malade ! que Votre Altesse sérénissime reçoive avec sa bonté ordinaire mon profond respect, etc.

  1. Éditeurs, Bavoux et François ?
  2. On n’a pas cette lettre.