Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4905

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 115-116).

4905. — À M. JEAN SCHOUVALOW.
Aux Délices, près Genève, 21 mai.

Monsieur, j’ai reçu la lettre dont vous m’honorez du 17 mars (v. s.). Je suppose que toutes celles que je vous ai écrites vous sont parvenues. J’ai été à la mort depuis que je n’ai eu l’honneur de vous écrire, et j’ai perdu une partie de ma fortune par le contre-coup de nos malheurs publics ; mais j’oublie cette dernière disgrâce, et dès que j’aurai un peu réparé l’autre en reprenant un peu de santé, je me remettrai avec courage et avec plaisir à l’Histoire de Pierre le Grand.

J’avoue, monsieur, que je serais bien encouragé si je pouvais en effet me flatter d’avoir l’honneur de vous voir et de vous posséder dans mes petites retraites. Il est digne de vous d’imiter Pierre le Grand, en voyageant comme lui. Vous devez bien sentir que vous seriez accueilli partout comme vous devez l’être ; votre voyage serait un triomphe continuel ; et on respecterait encore plus votre patrie quand on verrait un homme de votre mérite, orné des plus belles connaissances, et fait pour réussir dans toutes les cours. J’aurais souhaité que vous eussiez pris le parti d’être ambassadeur : cela m’aurait du moins rapproché de Votre Excellence ; et, tout malade que je suis, j’aurais volé tôt ou tard pour avoir la consolation de vous voir. Je suis mortifié de n’avoir aucune nouvelle de M. de Soltikof depuis son départ : je l’aimais véritablement, et j’avais eu pour lui toutes les attentions qu’il mérite. Vous ne m’avez point dit, monsieur, si vous aviez reçu la lettre[1] que je vous avais adressée par monsieur le grand-maître d’artillerie ; il est triste d’avoir toujours à craindre que les paquets ne soient perdus. Je crois que le meilleur parti est d’écrire tout simplement par la poste. On doit savoir d’ailleurs que je ne vous parle point d’affaires d’État ; on ne fait point la guerre à la littérature. Adieu, monsieur ; j’ai l’honneur d’être avec les sentiments les plus respectueux et les plus tendres, etc.

  1. Elle est perdue. (B.)