Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4909

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 118-119).
4909. — À M. LE PRÉSIDENT DE RUFFEY[1].
Aux Délices, 26 mai 1762.

Comme on se flatte toujours, monsieur, j’espère manger de vos navets. Je les fais planter dans une terre aussi sèche que le devient mon imagination. La maladie détruit toutes les facultés à mon âge, et je vous réponds bien que je ne ferai plus de tragédie en six jours. Je vous remercie bien sincèrement de vos graines et de vos règlements académiques[2]. Que n’ai-je la force de faire le voyage ! Que ne puis-je assister à vos séances avec le président fétiche ! Il est vrai qu’il ne serait pas mon fétiche, mais il pourrait bien être mon serpent, et surtout serpent gardien des trésors. Je crois pourtant notre noise apaisée. Je voudrais en pouvoir dire autant des états et du parlement.

Pourriez-vous avoir la bonté, mon cher monsieur, de m’envoyer le mémoire du parlement et celui pour lequel votre pauvre parent est en pénitence[3] ? Je le trouve bien bon de n’avoir pas voyagé, et de s’être laissé embastiller ; il me semble qu’il a pris là un bien mauvais parti. Tout ce qui se passe dans ce monde me fait bénir ma retraite ; elle serait plus heureuse si je pouvais vous y posséder. L’état où je suis ne me permettra pas vraisemblablement la consolation de vous voir à la Marche. Tenez, voilà une Gazette de Londres, vous pouvez la montrer, et même à l’abbé de Cîteaux, pourvu que vous ne disiez point de qui vous la tenez, de peur que je ne sois excommunié et que je meure déconfès.

Je vous embrasse tendrement et vous regrette toujours.

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. Les règlements de l’Académie de Dijon.
  3. M. Joly de Bévy, alors conseiller, depuis président au parlement de Dijon, mort en 1822. Sa brochure intitulée le Parlement outragé est devenue d’une rareté excessive. (Voyez Barbier, Dictionnaire des Anonymes.)