Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4942

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 144-145).

4942. — À M. DEBRUS[1].
(Juin 1762.)

Je crois qu’on se trompe, que toute cette aventure n’est pas de l’année 1762, mais du temps de la Saint-Barthélemy. Dieu soit béni de ce que les deux lettres de la mère et du fils ont effrayé et attendri les hommes sur ces horreurs, et donnent des protecteurs à l’innocence ! J’apprends qu’il y en a deux éditions à Paris[2]. Cela sera joint au procès, qui sera publié un jour. Donat Calas nous sera d’une grande ressource. Puissions-nous avoir ici Pierre[3] ?

On ne dégoûtera certainement pas M. Crommelin[4]. On s’unira à lui. Il faut que tous les moyens s’entr’aident, que toutes les voix soient à l’unisson. J’ai toujours pensé qu’il ne fallait pas sitôt parler des filles[5]. Quiconque a donné une lettre de cachet veut la soutenir. Ne nous brouillons avec personne : nous avons besoin d’amis.

  1. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe.
  2. Il s’agit de la publication intitulée Pièces originales concernant la mort des sieurs Calas et le jugement rendu à Toulouse. Voltaire lui-même avait annoté la lettre de la mère et écrit celle de son fils Donat. Comme cette brochure ne porte aucune indication de lieu ni de date, il est difficile aujourd’hui d’en distinguer les diverses éditions. (Note du premier éditeur.)
  3. Donat Calas était le plus jeune enfant de M. et Mme Calas. Nous avons dit qu’on l’envoya par précaution à Genève, et que Voltaire le fit venir aux Délices, où il l’interrogea longuement à maintes reprises.

    Pierre, en sortant du couvent où on l’avait retenu, se rendit également à Genève. Il y arriva en juillet 1762. (Id.)

  4. Crommelin (Jean-Pierre), professeur d’histoire à Genève, puis chargé d’affaires de la république de Genève à la cour de France. C’est en cette qualité qu’il put s’occuper activement de l’affaire Calas. Il mourut en 1769. (Id.)
  5. On voit ici commencer une suite de luttes entre les angoisses maternelles de Mme Calas, qui demandait avant tout qu’on lui rendît ses deux filles, et l’habileté de Voltaire, qui ne voulait pas soulever cette question avant d’avoir gagné, ou tout au moins fort avancé, le procès essentiel de la réhabilitation. Voltaire se doutait bien que la lettre de cachet avait été obtenue de M. de Saint-Florentin, ministre tout-puissant, très-malveillant à l’égard des réformés, et qu’il était indispensable de ménager.

    Quand on sait combien les enfants des protestants qui refusaient de se convertir avaient à souffrir dans certains couvents, on excuse les inquiétudes et l’impatience de cette pauvre mère isolée. (Id.)