Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4965

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4965. — MÉMOIRE DE M. DE VOLTAIRE[1]
du 14 juillet 1762.

Lecture faite des lettres de M. Crommelin du 8 juillet, de celle de Mme Calas du 9 juillet à M. Cathala, et des autres pièces, mon avis est qu’on cherche tous les moyens qui peuvent s’entr’aider sans pouvoir s’entre-nuire. Je pense, comme M. Crommelin, qu’on peut tenter de présenter une requête au roi par Mme de Pompadour. Cette tentative peut faire un bon effet, et n’en peut faire un mauvais. Si elle ne réussit pas, on sera toujours bien reçu à poursuivre l’affaire en forme. Le grand point est de préparer les esprits, d’avoir des protecteurs et de toucher tous les cœurs en faveur de cette famille infortunée. La publication des lettres de la mère et du fils a produit déjà un prodigieux effet ; j’espère qu’on en fera une édition à Paris, Le libraire Duchêne s’en est chargé ; il faut envoyer chez lui une personne intelligente[2] qui lui dise que le public désire ces pièces, M. Damilaville, premier commis des vingtièmes, quai Saint-Bernard, se charge de son côté de pousser cette édition. Ces pièces ont entièrement convaincu M. de Nicolaï, premier président de la chambre des comptes ; il l’a mandé à M. le docteur Tronchin et à moi, M. d’Auriac, premier président du grand conseil, gendre de monsieur le chancelier, agit de même. Mme Calas peut les aller remercier l’un et l’autre. Elle peut aussi aller chez M. de Saint-Florentin, quand il donne ses audiences à Paris. Ce ministre est très-bien disposé en sa faveur[3]. Je souhaite qu’elle puisse lui être présentêe par M. Chaban, intendant des postes. M. Chaban demeure avec M. Tronchin, rue Saint-Augustin. Il est surtout important qu’elle puisse se présenter à M. Ménard, premier commis de M. de Saint-Florentin, homme de beaucoup de mérite, qui a un très-grand crédit, et qui la protégera.

Elle peut aller aussi chez M. Héron, premier commis du conseil, rue Taranne, à qui j’ai envoyé des lettres imprimées.

J’attends une réponse de M. le duc de La Vallière pour savoir s’il peut présenter notre malheureuse veuve à Mme la marquise de Pompadour[4]. Je vais écrire avant de me coucher à M. le duc de Choiseul pour la seconde fois. — Pour épargner à Mme Calas beaucoup de démarches et d’embarras, je me charge de faire une nouvelle requête où toutes les erreurs minutieuses de la première seront corrigées. M. le duc de La Vallière portera cette requête à Mme de Pompadour pour la présenter au roi. Cette requête peut toucher Sa Majesté, et je ne serais point du tout étonné que le roi se charge (sic) lui-même d’approfondir l’affaire. Cette démarche n’empêchera point que M. Mariette n’agisse individuellement, et que l’on ne tâche d’obtenir de Toulouse les pièces nécessaires. Mais quel huissier osera porter une sommation au greffier du parlement, si ce parlement a défendu, comme on le dit, la communication des pièces du procès ?

Quoi qu’il arrive, je servirai cette dame de tout mon pouvoir. Je la supplierai de vouloir bien accepter une somme de cent écus pour continuer l’affaire dès qu’elle sera en train. V.

N. B. Elle ne ferait point mal d’aller voir M. Audibert, chez MM. Tourton et Baur, fameux banquiers, vers la place Vendôme.

  1. Éditeur, A. Coquerel.
  2. C’est d’après le manuscrit que nous soulignons. Ces indications semblent destinées à recommander plus particulièrement à Mme Calas les démarches que Voltaire lui conseille. (Note du premier éditeur.)
  3. Ici Voltaire se fait une entière illusion. La correspondance du ministre avec les juges de Toulouse, que Voltaire ne pouvait connaître, montre toute sa partialité. D’ailleurs, par tradition de bureaucrate et par instinct despotique, M. de Saint-Florentin, quoique descendant de huguenots, était très-hostile aux protestants. Du reste, Voltaire se douta bientôt des dispositions réelles du ministre, et en convint à demi. (Id.)
  4. Ce projet de présentation ne paraît pas s’être réalisé.