Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4966

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 170-171).

4966. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
14 juillet.

Mes chers anges, votre vertu courageuse n’abandonnera pas l’innocence opprimée, qui attend tout de votre protection ; vous achèverez ce que vous avez si noblement commencé. Mais, avant de mettre la chose en règle, il est d’une nécessité absolue d’avoir des réponses positives à la colonne des questions que je prends la liberté de vous envoyer. Je vous conjure de vouloir bien envoyer chercher la veuve Calas ; elle demeure chez MM. Dufour et Mallet, rue Montmartre.

Le fils de l’avocat Lavaysse est caché à Paris. Son malheureux père, qui craint de se compromettre avec le parlement de Toulouse, tremble que son fils n’éclate contre ce même parlement. Joignez à toutes vos bontés celle d’encourager ce jeune homme contre une crainte si infâme. Donnez-vous du moins la satisfaction de le faire venir chez vous. Daignez l’interroger ; ce sera une conviction de plus que vous aurez de l’abomination toulousaine. Daignez faire écrire tout ce que la veuve Calas et Lavaysse vous auront répondu ; faites-nous-en part, je vous en supplie.

Tous ceux qui prennent part à cette affaire espèrent qu’enfin on rendra justice. Vous savez sans doute que M. de Saint-Florentin a écrit à Toulouse, et est très-bien disposé. Monsieur le chancelier est déjà instruit par M. de Nicolaï et par M. d’Auriac. S’il y a autant de fermeté que de bienveillance, tout ira bien. Mme de Pompadour parlera. Nous comptons, grâce à vos bontés, sur la vertu éclairée de M. le comte de Choiseul.

Je sens bien, après tout, que nous n’obtiendrons qu’une pitié impuissante, si nous n’avons pas la plus grande faveur ; mais du moins la mémoire de Galas sera rétablie dans l’esprit du public, et c’est la vraie réhabilitation ; le public condamnera les juges, et un arrêt du public vaut un arrêt du conseil.

Mes anges, je n’abandonnerai cette affaire qu’en mourant. J’ai vu et j’ai essuyé des injustices pendant soixante années ; je veux me donner le plaisir de confondre celle-ci. J’abandonnerai jusqu’à Cassandre, pourvu que je vienne à bout de mes pauvres roués. Je ne connais point de pièce plus intéressante. Au nom de Dieu, faites réussir la tragédie de Calas, malgré la cabale des dévots et des Gascons. Je baise plus que jamais le bout des ailes de mes anges.

N. B. Mme Calas sait où demeure Lavaysse ; vous pourrez le faire triompher de sa timidité.