Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 5016

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5016. — À M.  FYOT DE LA MARCHE[1].
25 auguste, aux Délices.

Vous voilà donc, mon illustre magistrat, le protecteur de Pertharite, d’Agéslias, d’Attila, de Surèna, de Pulchérie, etc. Vous étiez fait pour ne protéger que les Cinna et les Polyeucte. La meilleure part n’est pas tombée à votre dessinateur. Je lui sais bon gré de mettre du génie dans ses dessins, puisque ce Corneille en a mis si peu dans la moitié de ses pièces ; il eût fallu plutôt les supprimer que les décorer par des estampes ; mais le public, qui n’a jamais entendu ses intérêts, veut avoir toutes les sottises d’un grand homme. J’ai pris le parti depuis quelque temps de faire relier ce que je trouve de bien dans les livres nouveaux et de brûler le reste. S’il fallait tout lire, Mathusalem n’aurait pas le temps.

Je me flatte toujours que Pierre Corneille me donnera le temps de venir cultiver auprès de vous la vraie philosophie, qui vaut mieux que la poésie. Nous allons, en attendant, jouer des tragédies nouvelles que les comédiens ne défigureront pas. Mlle  Corneille commence à réciter des vers, comme son oncle en faisait quand il était inspiré. Nous attendons M. le maréchal de Richelieu et M. le duc de Villars, à qui nous donnerons la comédie.

J’ai l’honneur de vous envoyer encore par M. de Villeneuve[2] un Mémoire sur les Calas. Cette affaire va être portée au conseil : c’est un grand préjugé eu faveur de cette malheureuse famille que vous ayez de la compassion pour elle. Agréez mes tendres respects. V.

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. Dufour de Villeneuve, intendant de Bourgogne, depuis lieutenant civil au Châtelet de Paris.