Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 5077

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 274-275).

5077. — À M. DAMILAVILLE.
Octobre.

Il est heureux que M. Mariette n’ait pas encore imprimé sa requête au conseil. C’est sur cette requête qu’on jugera. Les erreurs où M. de Beaumont peut être tombé seront rectifiées dans le mémoire juridique de M. Mariette.

La plus importante de ces erreurs, et peut-être la seule importante, est celle où M. de Beaumont, page 11, dit qu’à l’hôtel de ville il n’y eut point de serment prêté[1]. Il ne faut pas, sans doute, donner lieu aux juges de Toulouse de demander raison d’une fausse imputation, et de faire voir que les accusés, ayant prêté serment, se sont parjurés, et surtout de dire que ce parjure est une des choses qui peuvent justifier leur arrêt rigoureux.

Il faut avouer que ce concert, cette unanimité des Calas à dire sous serment que Marc-Antoine a été trouvé étendu sur le plancher, tandis qu’en effet Marc-Antoine a été étranglé, est l’unique prétexte qui puisse en quelque sorte excuser l’arrêt du parlement de Toulouse. C’est ce mensonge qui a fait croire que Marc-Antoine avait été étranglé par sa famille ; c’est ce mensonge qui a fait passer le mort pour un martyr, et qui lui a fait décerner trois pompes funèbres. Voilà ce qui a mené Jean Calas au supplice. Il ne faut donc pas à ce mensonge funeste en ajouter un nouveau, qui pourrait faire succomber l’innocence dans la révision du procès.

M. Mariette est prié de consulter le Mémoire de Donat Calas, et la Déclaration de Pierre Calas, page 23 : « Mon père, dans l’excès de sa douleur, me dit : « Ne va pas répandre le bruit que ton frère s’est défait lui-même ; sauve au moins l’honneur de ta misérable famille. »

Il est essentiel de rapporter ces paroles ; il l’est de faire voir que le mensonge, en ce cas, est une piété paternelle ; que nul homme n’est obligé de s’accuser soi-même, ni d’accuser son fils ; que l’on n’est point censé faire un faux serment quand, après avoir prêté serment en justice, on n’avoue pas d’abord ce qu’on avoue ensuite ; que jamais on n’a fait un crime à un accusé de ne pas faire au premier moment les aveux nécessaires ; qu’enfin les Calas n’ont fait que ce qu’ils ont dû faire. Ils ont commencé par vouloir défendre la mémoire du mort, et ils ont fini par se défendre eux-mêmes. Il n’y a dans ce procédé rien que de naturel et d’équitable. Les autres erreurs sont peu de chose, mais il est toujours bon que M. Mariette en soit instruit, afin qu’il n’y ait rien dans sa requête juridique qui ne soit dans l’exacte vérité.

Au reste, il est fort étrange que Mme Calas et M. Lavaysse aient laissé subsister, dans le factum de M. de Beaumont, une méprise si préjudiciable.

  1. Élie de Beaumont rectifia ce passasge.