Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 5100

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 298-299).

5100. — À M.  DAMILAVILLE.
6 décembre.

Mes frères, les Pensées tirées des objections diverses, etc., sont un excellent ouvrage. Il faut en tirer quelques exemplaires pour les sages ; mais je crois que rien ne fera jamais plus d’impression que le livre de Meslier. Songez de quel poids est le témoignage d’un mourant et d’un prêtre homme de bien. On dit qu’il paraîtra quelque chose[1] à l’occasion des Calas et des pénitents blancs, mais qu’on attendra que la révision ait été jugée.

Le docteur Tronchin m’a enfin mandé qu’il n’y avait point de guérison pour le petit enfant[2] à qui mon frère s’intéresse ; je souhaite que le docteur se trompe.

Qu’est-ce donc que ce drôle de fou qui traite le public comme Ajax traitait ses moutons[3] et qui tombe sur lui en furieux ? Il a donc fait une tragédie d’Ajax ? l’a-t-on mis aux petites-maisons ? comment se nomme-t-il ?

Est-il vrai qu’Élie de Beaumont est très-courroucé de voir la famille de Loyseau dans sa moisson[4] ? Mon cher frère, s’il est vrai, calmez ses douleurs ; représentez-lui que dans une affaire telle que celle des Calas, il est bon que plusieurs voix s’élèvent ; c’est un concert d’âmes vertueuses. Il s’agit de venger l’humanité, et non de disputer un peu de renommée. Il y aura place pour Beaumont et pour Loyseau dans le temple de la gloire et de la vertu, et aucun d’eux n’entrera dans la caverne de l’envie.

J’embrasse mon frère et mes frères.

P. S. Il y a un enfant qui se dit petit-neveu de Corneille. Il demeure chez M. Noël, maître de pension, faubourg Saint-Marceau. Son nom est Vannier. Il demande un exemplaire de Corneille ; cela est assurément bien juste. Je prie très-instamment mon frère de lui faire passer ce petit billet[5].

  1. Traité sur la Tolérance, etc. ; voyez tome XXV page 13.
  2. Daumart ; voyez page 291.
  3. Poinsinet de Sivry ayant donné, le 30 août, 1762, sa tragédie d’Ajax, en publia une défense sous ce titre : Appel au petit nombre, ou le Procès de la multitude, 1762, in-8o, avec cette épigraphe : « Ajax ayant été mal jugé entra en fureur, et prit un fouet pour châtier ses juges. »
  4. La gloire de défendre les Calas.
  5. Ce billet est perdu.