Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5121

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 319-320).

5121. — À M.  DAMILAVILLE.
À Ferney, 2 janvier.

J’ai reçu, mon très-cher frère, le petit chapitre concernant l’Encyclopédie ; et j’ai retranché[1] sur-le-champ le petit article où je combattais les droits du parlement, quoique je sois bien persuadé que le parlement n’a aucun droit sur les privilèges du sceau ; mais je ne veux point compromettre mes frères. Je sais fort bien que quand on s’avise de prendre le parti de l’autorité royale contre messieurs, messieurs vous brûlent, et le roi en rit. D’ailleurs, dans le petit chapitre des billets de confession et des querelles parlementaires et épiscopales[2], j’ai dit assez rondement la vérité. J’ai peint les uns et les autres tout aussi ridicules qu’ils étaient, sans pourtant y mettre de caricature.

J’ai une envie extrême de lire un mémoire que M. Loyseau fit, il y a quelques années, pour Mlle  Allyot de Lorraine. J’ai connu cette demoiselle à Lunéville, et le style de M. Loyseau augmente ma curiosité. Je demande en grâce à mon frère de m’obtenir cette grâce de M. Loyseau.

J’attends la Population[3] de M. de Beaumont. Ce livre sera sans doute ma condamnation. Je n’ai point peuplé, et j’en demande pardon à Dieu. Mais aussi la vie est-elle toujours quelque chose de si plaisant qu’il faille se repentir de ne l’avoir pas donnée à d’autres ?

Nous touchons, je crois, à la décision du conseil sur l’affaire des Calas, Est-il vrai qu’il faudra préalablement faire venir les pièces de Toulouse ? Ne sera-ce pas plutôt après la révision ordonnée que le parlement de Toulouse sera obligé d’envoyer la procédure ?

Au reste, mes frères, gardez-vous bien de m’imputer le petit livre sur la Tolérance[4], quand il paraîtra. Il ne sera point de moi, il ne doit point en être. Il est de quelque bonne âme qui aime la persécution comme la colique.

Si l’Histoire du Languedoc[5] arrive à temps, elle pourra servir aux Calas, en fournissant un petit résumé des horreurs visigothes languedociennes.

Frère Thieriot se tue à écrire ; dites-lui qu’il se ménage. Cependant, raillerie à part, je lui pardonne s’il mange bien, s’il dort bien, et surtout si son frère m’écrit.

J’embrasse tous les frères. Ma santé est pitoyable. Écr. l’inf…

P. S. Il y a un petit mémoire incendié d’un président au mortier ou à mortier[6] frère peu sensé de l’insensé d’Argens. Je ne hais pas à voir les classes du parlement se brûler les unes les autres en cérémonie : cela me paraît fort plaisant, et digne de notre profonde nation ; mais vous me feriez surtout un plaisir extrême de m’envoyer par la première poste le mémoire du président au mortier.

  1. Voyez la lettre 5103 ; ce chapitre, placé tome XXIV, page 469, ne contient en effet rien de relatif aux droits du parlement sur les privilèges du sceau.
  2. Aujourd’hui le chapitre xxxvi du Précis du Siècle de Louis XV ; voyez tome XV, page 376.
  3. C’était un Mémoire ou Discours dont Voltaire parle dans sa lettre à Élie de Beaumont, du 21 janvier.
  4. Traité sur la Tolérance ; voyez tome XXV, page 13.
  5. Voltaire, dans ses lettres n° 5013 et 5112, demandait qu’on lui envoyât une Histoire du Languedoc.
  6. Jean-Baptiste Boyer, marquis d’Aiguilles, mort en 1783, et dont on a déjà parlé tome XV, page 288, était venu à Versailles présenter contre ses confrères du parlement d’Aix, et en faveur des jésuites, deux mémoires dont le parlement d’Aix prononça la condamnation ; voyez la Correspondance de Grimm à la date du 15 janvier 1763.