Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5126

La bibliothèque libre.

5126. — À M. LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI[1].
Ferney, 7 janvier.

Je voudrais sans doute, monsieur, voir un homme de votre mérite et quitter mes neiges pour les vôtres, ou bien avoir le bonheur de vous voir quitter les vôtres pour les miennes ; mais vous êtes attaché à la dotta e grassa Bologna, et moi, je ne peux, à l’âge de soixante et dix ans, passer le mont Cenis pendant l’hiver. Je suis dans mon lit depuis les premiers froids. Ma consolation est de lire notre cher Goldoni, et de m’amuser à des ouvrages qui ne valent pas les siens. Je suis obligé de dicter toujours ; je ne peux écrire. Voilà pourquoi j’ai tardé si longtemps à vous dire, monsieur, combien je suis sensible à vos offres obligeantes, et quel est mon regret de ne pouvoir les accepter.

Je compte dans quelque temps vous faire un petit envoi ; mais ce ne sera, je crois, que dans le mois de mars. J’ai été si malade, si faible, si paresseux, que je n’ai pu écrire depuis longtemps à M. Goldoni. D’ailleurs, que lui mander du fond de ma retraite ? Il m’a écrit qu’il serait longtemps à Paris ; je ne doute pas que ses ouvrages ne lui fassent des admirateurs, et son caractère, des amis. La paix, le concours des étrangers, le nombre de ceux qui seront touchés de son mérite, lui pourront être utiles ; c’est ce que je souhaite passionnément.

Pour vous, monsieur, je ne vous souhaite que la continuation de votre félicité ; vous avez tout le reste.

On ne peut être plus pénétré que je le suis de tout ce que vous valez et de l’amitié dont vous m’honorez. Comptez, je vous en conjure, sur mon très-tendre attachement pour le temps qui me reste à vivre.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.