Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5140

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5140. — À M. LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
À Ferney, 14 janvier.

Mon cher philosophe, vous m’envoyez toujours des pâtés farcis de truffes, Vous êtes un philosophe faisant bonne chère, et voulant qu’on la fasse : vous jugez avec raison que nous avons besoin, dans notre pays de glaces, du souvenir des seigneurs de vos beaux climats.

Savez-vous que j’ai reçu une lettre de quatre dames d’Angoulême ? Je n’ai pas l’honneur de les connaître ; mais je n’en suis que plus flatté de leurs bontés : elles ne signent point leurs noms ; elles m’ordonnent d’adresser ma réponse à Mme la marquise de Théobon. Que puis-je leur répondre ? C’est jouer à colin-maillard.


Quatre beautés font tout mon embarras ;
De faire un choix mon âme est occupée :
Qu’eût fait Pâris en un semblable cas ?
En quatre parts la pomme il eut coupée.


Si vous voulez leur donner cette réponse ou cette excuse, c’est assez pour un vieux malade qui ne ressemble point du tout à Pâris.

On va juger à Paris le procès de Calas : cela intéresse l’humanité tout entière. On a pendu un ex-jésuite[1] pour avoir dit des sottises ; cela n’intéresse que la pauvre Société de Jésus.

Bonsoir, monsieur ; sans les neiges et votre absence, mon château, l’œuvre de mes mains, serait un charmant séjour.

Je suis à vous bien tendrement pour jamais.

  1. Ringuet.