Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5141

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 340-341).

5141. — À M. LE PRÉSIDENT DE RUFFEY.
À Ferney, 14 janvier.

Je ne vous écris point de ma main, mon cher président, parce que je suis malingre, à mon ordinaire ; mais mon cœur vous écrit : il est pénétré de vos bontés. Je vois qu’il vous est dû quelque argent que vous avez bien voulu avancer pour moi. J’ai mandé à mon banquier de Lyon, M. Camp, de vous le faire rembourser par son correspondant de Dijon. Pour moi, je vous le rembourse[1] par mille remerciements.

Vous m’avouerez qu’il est plaisant qu’un parlement dise à un autre parlement : Nous chasserons les jésuites si vous prenez notre parti. Ne trouvez-vous pas que c’est là rendre une justice impartiale ? Si les jésuites sont intolérables par leur constitution, leurs maximes et leur conduite, faut-il faire son marché pour les juger ?

Je suis très-instruit de la conduite de David et d’Absalon[2]. Je trouve le jugement des arbitres assez raisonnable, quoiqu’il ait un peu passé les bornes de son pouvoir. Je conseille très-fort à notre ami de s’en tenir à ce jugement, et de finir pour jamais une chose si désagréable. Je vous prie même de l’engager à ce léger acquiescement, qui fera son repos. Il sera honorable pour lui de céder un peu de ses droits, et de ne pas paraître traiter son fils à la rigueur. Écrivez-lui, je vous en conjure, la lettre la plus forte. Les meilleurs magistrats doivent faire, dans leurs intérêts personnels, ce que les meilleurs médecins font dans leurs maladies : ils consultent d’autres médecins[3].

Je me mêle peu du temporel de Corneille : je ne suis que pour le spirituel. Je crois qu’il y a dans votre capitale de Bourgogne un libraire correspondant des Cramer pour les souscriptions ; c’est tout ce que j’en sais.

Je vous remercie de votre nouvelle liste : je vois avec grand plaisir que le nombre et le mérite de vos académiciens augmentent tous les jours ; c’est votre ouvrage, et je n’en suis pas étonné.

Malgré les neiges qui me gèlent, et une bonne fluxion sur les deux yeux, je vous dirai que celui qui se proposait pour épouser Mlle Corneille était M. de Cormont, capitaine de cavalerie, fils du commissaire des guerres de Châlons. Je donnais une dot honnête, mais le commissaire ne donnait rien du tout ; et la raison sans dot[4] n’a pas réussi.

Je vous embrasse bien tendrement. V.

  1. « Je vous rembourse. » (Édition Foisset.)
  2. MM. Fyot de La Marche père et fils.
  3. Ces deux derniers paragraphes, donnés par M. Foisset, manquent dans le texte de Beuchot.
  4. L’Avare, acte I, scène vii.