Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5158
Mon cher frère, on ne peut empêcher, à la vérité, que Jean Calas ne soit roué ; mais on peut rendre les juges exécrables, et c’est ce que je leur souhaite. Je me suis avisé de mettre par écrit toutes les raisons qui pourraient justifier ces juges ; je me suis distillé la tête pour trouver de quoi les excuser, et je n’ai trouvé que de quoi les décimer.
Gardez-vous bien d’imputer aux laïques un petit ouvrage sur la tolérance qui va bientôt paraître[1]. Il est, dit-on, d’un bon prêtre ; il y a des endroits qui font frémir, et d’autres qui font pouffer de rire ; car, Dieu merci, l’intolérance est aussi absurde qu’horrible.
Mon cher frère m’enverra donc la petite feuille qu’on attribue à M. Le Brun[2]. Mais est-il possible que Le Brun, qui m’adressait de si belles odes pour m’engager à prendre Mlle Corneille, et m’envoie souvent de si jolis vers, ne soit qu’un petit perfide ?
Nous marions Mlle Corneille à un gentilhomme du voisinage, officier de dragons, sage, doux, brave, d’une jolie figure, aimant le service du roi et sa femme, possédant dix mille livres de rente, à peu près, à la porte de Ferney. Je les loge tous deux. Nous sommes tous heureux. Je finis en patriarche. Je voudrais à présent marier Mme Calas à deux conseillers au parlement de Toulouse.
On dit la comédie de M. Dupuis fort jolie[3] ; cela est heureux. Le nom de notre futur est Dupuits. Frère Thieriot doit être fort aise de la fortune de Mlle Corneille ; elle la mérite. Savez-vous bien que cette enfant a nourri longtemps son père et sa mère du travail de ses petites mains ? La voilà récompensée. Sa vie est un roman.
Je vous embrasse tendrement, mon cher frère. Écr. l’inf…, vous dis-je.