Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5189

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5189. — À M. DE LA. MICHODIÈRE,
intendant de rouen.
À Ferney, le 13 février.

Si j’avais des yeux, monsieur, j’aurais l’honneur de vous remercier, de ma main, de la lettre dont vous avez bien voulu m’honorer. Recevez mes très-humbles compliments pour vous et M. Thiroux de Crosne, sur le mariage de madame votre fille. Celui de Mlle Corneille n’est pas si brillant ; je l’ai donnée à un jeune gentilhomme nommé Dupuits, dont les terres sont voisines des miennes. Il n’est encore que cornette de dragons ; mais il a un avantage commun avec M. de Crosne, celui d’être heureux par la possession de sa femme.

L’affaire que M. de Crosne rapporte est un peu éloignée des agréments dont il jouit ; elle est bien funeste, et je n’en connais guère de plus honteuse pour l’esprit humain. J’ai pris la liberté d’écrire à M. de Crosne sur cette affaire[1]. Je dois me regarder en quelque façon comme un témoin. Il y a plusieurs mois que Pierre Calas, accusé d’avoir aidé son père et sa mère dans un parricide, est dans mon voisinage avec un autre de ses frères. J’ai balancé longtemps sur l’innocence de cette famille ; je ne pouvais croire que des juges eussent fait périr, par un supplice affreux, un père de famille innocent. Il n’y a rien que je n’aie fait pour m’éclaircir de la vérité ; j’ai employé plusieurs personnes auprès des Calas, pour m’instruire de leurs mœurs et de leur conduite ; je les ai interrogés eux-mêmes très-souvent. J’ose être sûr de l’innocence de cette famille comme de mon existence : ainsi j’espère que M. de Crosne aura reçu avec bonté la lettre que j’ai eu l’honneur de lui écrire. Ce n’est point une sollicitation que j’ai prétendu faire, ce n’est qu’un hommage que j’ai cru devoir à la vérité. Il me semble que les sollicitations ne doivent avoir lieu dans aucun procès, encore moins dans une affaire qui intéresse le genre humain : c’est pourquoi, monsieur, je n’ose même vous supplier d’accorder vos bons offices ; on ne doit implorer que l’équité et les lumières de M. de Crosne. Vous avez lu les factums, et je regarde l’affaire comme déjà décidée dans votre cœur et dans celui de monsieur votre gendre.

J’ai l’honneur d’être avec bien du respect, etc.

  1. Voyez la lettre du 30 janvier, n° 5170.