Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5256
Mon ancien ami, si M. Simon Lefranc de Pompignan n’eût point épuisé tous les éloges qu’il a fait faire dans la magnifique église[2] de son village, je compilerais, compilerais, compilerais éloges sur éloges pour louer les succès que Mlle Dubois a eus dans ma tragédie de Tancrède. Je ne connaissais pas cette aimable actrice ; ce que vous m’en écrivez me charme. Je tremblais pour le Théâtre-Français ; Mlle Clairon est prête à lui échapper. Remercions la Providence d’être venue à notre secours. Si les suffrages d’un vieux philosophe peuvent encourager notre jeune actrice, faites-lui dire, mon ancien ami, tout ce que j’ai dit autrefois à l’immortelle Lecouvreur. Dites-lui qu’elle laisse crier l’envie, que c’est un mal nécessaire ; c’est un coup d’aiguillon qui doit forcer à mieux faire encore[3]. Dites lui surtout d’aimer[4] : le théâtre appartient à l’amour ; ses héros sont enfants de Cythère. Dites-lui de mépriser les éloges de Jean Fréron et des auteurs de cette espèce. Que le public soit son juge, il sera constamment son admirateur.
- ↑ Cette lettre a été imprimée dans la Correspondance de Grimm, février 1764, comme étant de l’année précédente. Des éditeurs de Voltaire l’ont classée à la fin de décembre 1763. Ce fut le 19 mars 1763 que Mlle Dubois (voyez tome XL, page 134) joua le rôle d’Aménaïde dans Tancréde. L’éloge de cette actrice à cette occasion se trouve dans le Mercure, tome Ier d’avril, page 187. En supposant Thieriot plus diligent que le journaliste, la lettre doit être de la fin de mars. (B.)
- ↑ Voltaire croyait ou faisait semblant de croire Lefranc de Pompignan auteur du Discours prononcé dans l’église de Pompignan le jour de sa bénédiction ; voyez tome XXIV, page 457.
- ↑ Dans son épitre à Hénault ( novembre 1748), voyez tome X, Voltaire avait dit :
L’envie est un mal nécessaire ;
C’est un petit coup d’aiguillon
Qui vous force encore à mieux faire. - ↑ Grimm écrit au mois de février 1764 : « Mlle Dubois, jeune actrice de la Comédie française, a moins de célébrité par son talent, qui n’est pas bien décidé, que par sa figure et l’usage qu’elle fait de ses attraits : c’est aujourd’hui une des courtisanes les plus à la mode… Il parait que le devoir d’aimer que M. de Voltaire impose aux actrices est celui dont Mlle Dubois s’acquitte le mieux. » Correspondance littéraire, édition Tourneux, tome V, page 448.