Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5268

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5268. — À M.  LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
22 avril.

Le bon Dieu vous le rende, monsieur, d’avoir guéri M.  le comte de Brassac de sa peur. Non-seulement vous êtes philosophe, mais vous en faites. Je suis bien fâché de n’avoir plus de Sermon[1], mais vous aurez des curé Meslier[2] tant que vous en voudrez. Je ne sais si le dernier ouvrage de J.-J. Rousseau, intitulé Émile, est parvenu jusqu’à vous. Il est vrai que dans ce livre, qui est un plan d’éducation, il y a bien des choses ridicules et absurdes. Il a un jeune homme de qualité à élever, et il en fait un menuisier : voilà le fond de ce livre ; mais il introduit au troisième tome un vicaire savoyard, qui sans doute était vicaire du curé Jean Meslier. Ce vicaire fait une sortie contre la religion chrétienne avec beaucoup d’éloquence et de sagesse. Vous avez su que l’archevêque de Paris a donné un mandement violent contre Jean-Jacques ; que Jean-Jacques, poursuivi d’ailleurs par le parlement de Paris, brûlé à Genève sa patrie, brûlé à Berne, c’est-à-dire dans la personne de son livre, s’est retiré dans un désert près de Neuchâtel, qui appartient au roi de Prusse. C’est de là que ce pauvre martyr écrit une lettre de deux cents pages à l’archevêque de Paris, intitulée Lettre de J.-J. Rousseau à Christophe de Beaumont. Il est fort difficile d’en avoir des exemplaires : s’il m’en tombe entre les mains, je tâcherai de vous les faire parvenir contre-signés. Adieu, monsieur ; continuez à détruire l’erreur et à aimer vos amis. Daignez toujours me compter parmi ceux qui vous sont le plus dévoués.

  1. Le Sermon du rabbin Akib, ou le Sermon des cinquante ; voyez tome XXIV, pages 277 et 438. Peut-être Voltaire parle-t-il ici des deux sermons.
  2. Voyez tome XXIV, page 293.