Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5312

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 495-497).

5312. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
13 juin.

Mes divins anges, on m’a mandé qu’on avait imprimé Olympie à Paris, et qu’on avait supprimé la seule note[1] pour laquelle je souhaitais que l’ouvrage fût public. Il est bon de connaître les Juifs tels qu’ils sont, et de voir de quels pères les chrétiens descendent. Le fanatisme est bien alerte en France sur tout ce qui peut l’égratigner : ce monstre craint la raison comme les serpents craignent les cigognes. On est beaucoup plus raisonnable dans le petit pays que j’habite. Ah ! que les Français sont encore loin des Anglais en philosophie et en marine !

J’ai peur de déplaire aux auteurs de la Gazette littéraire en les servant ; mais je ne les sers que pour vous plaire. Votre projet d’établir ce journal est celui de saint Michel d’écraser le diable. Vous pensez bien que je servirai avec zèle dans votre armée. Si M. le duc de Praslin veut seulement favoriser la bonne volonté de quelques directeurs des postes, qui m’enverront les nouveautés d’Angleterre, d’Italie, et d’Allemagne, moyennant une petite rétribution, je fournirai exactement votre armée, et les deux chefs rédigeront à leur gré tout ce que je leur ferai parvenir. Je m’instruirai, je m’amuserai, je vous servirai : rien ne pouvait m’arriver de plus agréable.

C’est monsieur le contrôleur général[2] qui a fait graver Tronchin ; c’est lui qui donne ces estampes, et c’est lui faire plaisir de lui en demander. Je ne crois pas qu’il fasse graver messieurs de la grand’chambre, ni que messieurs fassent la dépense de son portrait. On siffle sa pièce, mais je ne l’en crois pas l’auteur.

Pour celle d’Olympie, il est bien difficile d’exécuter l’idée que vous approuvez, et que je n’ai proposée que comme nouvelle, et non comme heureuse. Songez qu’Antigone étant mort, rien ne pourrait plus alors empêcher Olympie de se faire religieuse ; le pontife n’aurait plus à craindre le combat des deux rivaux dans le temple ; et s’il craignait la violence de Cassandre, il démentirait son caractère ; le théâtre serait trop vide, la fin trop maigre. Olympie, entre les deux rivaux, forme un bien plus beau spectacle qu’en se trouvant seule avec Cassandre ; et c’est peut-être quelque chose d’assez heureux d’introduire devant elle les deux princes, obligés tous deux de respecter celle qu’ils veulent enlever, et réduits à l’impossibilité de troubler la cérémonie. La mort d’Antigone ne peut jamais faire un grand effet. Ce n’est pas un tyran dont la mort soit nécessaire pour mettre deux acteurs en liberté, et ce n’est guère que dans ce cas que le spectateur aime la mort d’un personnage odieux. Antigone mort ne serait qu’un personnage de moins au cinquième acte. Considérez encore que tous les personnages mourraient, et qu’il faut au moins qu’il en reste un, n’importe lequel. Mais c’est le plus coupable qui est sauvé ! oui, par ma foi, mes anges ; c’est ainsi que la Providence est souvent faite, et j’en suis bien fâché.

En attendant que je débrouille mes idées, voici une Zulime pour M. de Thibouville-Baron[3]. Cette Zulime me paraît assez rondement écrite ; c’est tout. J’ai peu d’enthousiasme pour mes ouvrages, mes anges ; je n’en ai que pour vous.

Comme, depuis quelque temps, la Lettre de Jean-Jacques a Christophe a excité l’attention de ceux qui sont chargés de l’inspection de la poste, et qu’à cette occasion on a saisi plusieurs imprimés, j’ai craint et je crains encore pour les Olympie et les Zulime que j’ai déjà envoyées à mes anges sous le couvert de M. le duc de Praslin et de M. de Courteilles. Je suis comme le lièvre qui tremblait qu’on ne prit ses oreilles pour des cornes[4].

Vous ai-je dit que toute la cour de l’électeur palatin et les étrangers qui y sont lui ont redemandé Olympie ? qu’il l’a fait rejouer deux fois, quoique les princes n’aiment pas à voir deux fois la même chose ? On prétend à Manheim que je n’ai jamais rien fait ni de moins mauvais ni de plus théâtral. Ne sera-ce donc qu’aux bords du lac Léman et sur ceux du Rhin que j’obtiendrai un peu d’indulgence ?

J’en reviens toujours à Candide : il faut finir par cultiver son jardin[5] : tout le reste, excepté l’amitié, est bien peu de chose ; et encore cultiver son jardin n’est pas grand’chose.

Vanité des vanités, et tout n’est que vanité[6], excepté de vivre tout doucement avec les personnes auxquelles on est attaché.

La nièce à Pierre[7], la nièce à François[8], et le vieux François[9], baisent le bout de vos ailes.

  1. La note sur les grands prêtres ; voyez tome VI, page 127.
  2. Bertin.
  3. Voyez la note 4, page 475.
  4. La Fontaine, livre V, fable iv.
  5. Voyez tome XXI, page 218.
  6. Écclésiaste, i, 2.
  7. Mme  Dupuits, née Marie-Françoise Corneille.
  8. Mme  Denis.
  9. Voltaire lui-même.