Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5340

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 520-521).

5340. — À M. LE CONSEILLER TRONCHIN[1].
Ferney, 19 juillet.

J’apprends, mon cher ami, que quelques malins débitent une rapsodie intitulée Saül, tragédie tirée de l’Écriture sainte, par M. de Voltaire, a Genève[2].

Il est clair par l’intitulé que c’est un tour qu’on me joue. On dit qu’il y en a très-peu d’exemplaires, et qu’ils ont été très-sagement supprimés par MM. les scholarques ; mais c’est assez que les ministres du saint Évangile en aient un exemplaire, pour qu’ils fatiguent la prudence du conseil. Il me semble que, dans cette occasion, ce serait à moi, et non à eux, à demander justice de l’abus qu’on a fait du nom de Genève et du mien. Je crois aussi que le parti le plus convenable est d’ensevelir dans son obscurité cette sottise, qui ne mérite pas qu’on lui donne de l’importance ; mais s’il arrivait que les brouillons insistassent auprès du conseil, il serait peut-être alors à propos que je détruisisse leur mauvaise volonté en déférant moi-même ce libelle, fait en effet contre moi, et visiblement imprimé pour me nuire. Ainsi donc je joins ici à tout événement une requête que je soumets à votre prudence et que je recommande à votre amitié. Vous ne la donnerez sans doute que quand il la faudra donner. Vous ne ferez que ce qu’il faudra faire. Je vous avoue qu’il serait fort triste pour moi que mon nom fût compromis à mon âge. Si vous et vos amis pouvez faire en sorte que cette sottise soit étouffée, je vous en aurai, aussi bien que maman[3], une véritable obligation. Le conseil sait combien je lui suis dévoué. En un mot, je compte sur vous et sur vos amis, et je vous embrasse bien tendrement ; ainsi fait maman.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Voyez tome .
  3. Mme Denis.