Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5420

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Correspondance de Voltaire/1763
Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 583-584).

5420. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
Paris, 30 septembre 1763.
l’aveugle du deffant
au soi-disant aveugle, mais très-clairvoyant voltaire.

Je ne vous dirai point pourquoi j’ai tant tardé à vous répondre. Si vous avez appris la mort de Mme  de Luynes[2], vous avez dû deviner quelles étaient mes raisons ; vous en faire le détail serait un grand ennui pour vous et une grande fatigue pour moi. J’aime bien mieux vous raconter ce qui se passa l’autre jour chez le roi de Pologne. La reine y était, la cour était nombreuse, on parla de l’Instruction pastorale de l’évêque du Puy[3] ; on loua l’ouvrage, on exalta l’auteur. « C’est un saint, disait le roi de Pologne. — C’est un homme bien savant, disait l’autre. — Tout cela est vrai, dit M. le prince de Beauvau, mais il n’aura jamais la célébrité de son frère[4]. »

Platon est revenu de la cour de Denis ; il en dit des merveilles. Il prétend que ce n’est point à ses pieds qu’on doit chercher ses oreilles ; enfin il est comblé de gloire, en attendant qu’il soit vêtu de moire.

J’aimerais à la folie avoir une correspondance avec vous, si vous étiez bien aise d’en avoir avec moi, mais vous n’avez jamais rien à me dire ; ce n’est que par le public que j’apprends ce que vous pensez, ce que vous dites, ce que vous faites ; vous ne me jugez digne d’aucune confiance.

Laissons François II tel qu’il est ; c’est un genre qu’il est difficile de perfectionner ; il est plus court de ne pas l’admettre.

Oh ! monsieur de Voltaire, avez-vous lu M. Thomas ? Il devait dire avant son discours : Allons, faquins, il vous faut du sublime ! Je suis indignée de l’éloquence régnante, j’aime mieux le style des halles. La pièce de Saurin[5] vient de tomber à plat.

Adieu, monsieur ; ne m’oubliez pas, et envoyez-moi quelque chose qui m’amuse, j’en ai besoin : je péris de langueur et d’ennui.

  1. Correspondance complète, édition Lescure, 1865.
  2. Tante de Mme  du Deffant.
  3. L’abbé de Pompignan.
  4. Lefranc de Pompignan, que Voltaire a rendu célèbre par ses plaisanteries et ses satires.
  5. Blanche et Guiscard.