Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5489

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 55-56).

5489. — À M. DAMILAVILLE.
21 décembre.

On m’envoie de Languedoc cette chanson, sur l’air de l’inconnu :


Simon Lefranc, qui toujours se rengorge.
Traduit en vers tout le Vieux Testament.
Traduit eSimon les forge
Traduit eTrès-durement ;
Mais pour la prose écrite horriblement,
Simon le cède à son puîné Jean-George.


Cependant on me mande aussi de Paris que l’édition publique de la Lettre du Quaker pourrait faire grand tort à la bonne cause : que les doutes proposés à Jean-George sur une douzaine de questions absurdes rejaillissent également contre la doctrine et contre l’endoctrineur ; que le ridicule tombe autant sur les mystères que sur le prélat ; qu’il suffit du moindre Gauchat, du moindre Chaumeix, du moindre polisson orthodoxe, pour faire naître un réquisitoire de maître Omer ; que cet esclandre ferait grand tort à la Tolérance ; qu’il ne faut pas sacrifier un bel habit pour un ruban ; que ces ouvrages sont faits pour les adeptes, et non pour la multitude.

C’est à mon très-cher frère à peser mûrement ces raisons. Je me souviens d’un petit bossu qui vendait autrefois des Meslier sous le manteau ; mais il connaissait son monde, et n’en vendait qu’aux amateurs.

Enfin je me repose toujours sur le zèle éclairé de mon frère ; nous parviendrons infailliblement au point où nous voulions arriver, qui est d’ôter tout crédit aux fanatiques dans l’esprit des honnêtes gens : c’est bien assez, et c’est tout ce qu’on peut raisonnablement espérer. On réduira la superstition à faire le moindre mal qu’il soit possible. Nous imiterons enfin les Anglais, qui sont depuis près de cent ans le peuple le plus sage delà terre comme le plus libre.

Je n’entends pas parler de frère Thieriot. Je sais l’aventure des Bigots[1]. Voilà le seul bigot qu’on ait puni. Pardon de cette mauvaise plaisanterie. Bonsoir, mon cher frère.

  1. Bigot et autres convulsionnaires du Canada, condamnés à l’amende et au bannissement.