Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5506

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Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 72).

5506. — À M. MARMONTEL.
4 janvier.

Mon cher confrère, il y a un endroit de votre beau discours qui m’a bien fait rougir. Tout le reste m’a paru très-digne de vous, et la fin m’a attendri. Vous donnez un bel exemple aux gens de lettres en rendant les lettres respectables. Je ne désespère point de voir tous les vrais philosophes unis pour se défendre mutuellement, pour combattre le fanatisme, et pour rendre les persécuteurs exécrables au genre humain. Apprenez-leur, mon cher ami, à bien sentir leurs forces. Ils peuvent aisément diriger à la longue tous ceux qui sont nés avec un esprit juste. Ils répandent insensiblement la lumière, et le siècle sera bientôt étonné de se voir éclairé.

Quoi ! des fanatiques auraient été unis, et des philosophes ne le seraient pas ! Votre discours[1], aussi sage que noble, et qui en fait entendre plus que vous n’en dites, me persuade que les principaux gens de lettres de Paris se regardent comme des frères. La raison est leur héritage : ils combattront sagement pour leur bien de famille. J’en connais qui ont un très-grand zèle, et qui ont fait beaucoup de bien sans éclat.

Vous ne me dites rien sur M. le duc de Praslin et sur M. d’Argental. Croyez-moi ; faites-moi l’amitié de m’écrire quelques mots que je unisse leur envoyer, afin qu’ils puissent connaître vos sentiments, qui ne se sont jamais démentis.

Si j’avais l’honneur d’être le moins du monde en relation avec M. le prince de Rohan[2], je prendrais la liberté de lui écrire pour le remercier des obligations que vous lui avez, c’est-à-dire que je lui ai. Je vous supplie de lui présenter ma respectueuse reconnaissance.

Que tout ceci soit entre nous : les profanes ne sont point faits pour les secrets des adeptes.

  1. De réception à l’Académie française.
  2. Louis-René-Édouard ; voyez tome XLI, page 403.