Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5532

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Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 96-97).

5532. — M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 20 janvier.

Ce n’est pas un petit renversement du droit divin et humain que la perte d’un conte à dormir debout, et d’un cinquième acte qui pourrait faire le même effet sur le parterre, qui a le malheur d’être debout à Paris. J’ai écrit à mes anges gardiens une lettre ouverte que j’ai adressée à M. le duc de Praslin ; j’adresse aussi mes complaintes douloureuses et respectueuses à M. Janel, qui, étant homme de lettres, doit favoriser mon commerce. Je conçois après tout que, dans le temps que l’Anti-financier causait tant d’alarmes, on ait eu aussi quelques inquiétudes sur l’Anti-intolérant[1] ; ce dernier ouvrage est pourtant bien honnête, vous l’avez approuvé. MM. les ducs de Praslin et de Choiseul lui donnaient leur suffrage ; Mme  de Pompadour en était satisfaite. Il n’y a donc que le sieur évêque du Puy et ses consorts qui puissent crier. Cependant, si les clameurs du fanatisme l’emportent sur la voix de la raison, il n’y a qu’à suspendre pour quelque temps le débit de ce livre, qui aurait le crime d’être utile ; et, en ce cas, je supplierais mes anges d’engager frère Damilaville à supprimer l’ouvrage pour quelques mois, et à ne le faire débiter qu’avec la plus grande discrétion. Ah ! si mes anges pouvaient m’envoyer la petite drôlerie[2] de l’hiérophante de Paris, qu’ils me feraient plaisir ! car je suis fou des mandements depuis celui de Jean-George. Mes anges me répondront peut-être qu’ils ne se soucient point de ces bagatelles épiscopales ; qu’ils veulent qu’Olympie meure au cinquième acte, que c’est là l’essentiel : je leur enverrai incessamment des idées et des vers. Mais pourquoi avoir abandonné la conspiration ? pourquoi s’en être fait un plaisir si longtemps pour y renoncer ? Si vous trouvez les roués passables, que ne leur donnez-vous la préférence que vous leur aviez destinée ? Si vous trouvez les roués insipides, il ne faut jamais les donner. Répondez à ce dilemme : je vous en défie ; au reste, votre volonté soit faite en la terre comme au ciel ! Je me prosterne au bout de vos ailes.

N. B. J’ai écrit une lettre[3] fort bien raisonnée à M. le duc de Praslin sur les dîmes.

Respect et tendresse.

  1. Le Traité sur la Tolérance.
  2. Cette expression du Bourgeois gentilhomme, acte I, scène ii, est appliquée par Voltaire à l’Instruction pastorale de l’archevêque de Paris ; voyez page 66.
  3. Elle est perdue.