Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5544

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5544. — À M. FYOT DE LA MARCHE[1].
(père.)
Ferney, 30 janvier 1764.

Digne magistrat, bienfaisant philosophe, il ne sera pas dit assurément que je sois assez sot pour mourir sans vous avoir vu dans votre paradis de la Marche. Vous y fondez un hôpital[2], voilà tout juste mon affaire. J’y viendrai en qualité d’impotent si nos vilains vents continuent, et en qualité d’aveugle si ma fluxion sur les yeux ne guérit pas ; j’y viendrai sain ou sauf, en litière ou en brancard, en bonnet de nuit ou en perruque. Vous éclairerez mon esprit, et cela vaut bien la guérison de mes yeux que vous me faites espérer. Vous me rendrez raison si vous pouvez, de toutes les sottises, de toutes les inconséquences, de toutes les contradictions de la Gaule Transalpine et des pauvres petits royaumes des Bourguignons et des Francs.

Vous me direz quel chemin il faut prendre pour arriver de ma chaumière à votre palais de la Marche. J’envoie le livre de la Tolérance que l’auteur m’ordonne de vous présenter par la voie de M. de Raimond, directeur des postes de la Franche-Comté. Je ne sais pas si c’est la voie la plus sûre et la plus prompte. Je hasarde celle-là parce que vous ne m’en avez pas donné d’autre. Le paquet doit arriver franc. S’il fait naufrage en chemin, on tâchera de prendre une autre route.

J’ai actuellement une grande affaire avec monsieur votre fils. Je ne sais si vous savez qu’il est aussi venu à Ferney. Je suis à peu près dans le cas du roi. J’ai eu affaire à trois parlements du royaume à la fois, je m’en suis tiré jusqu’ici assez heureusement. Nous verrons si je réussirai avec le vôtre. Savez-vous bien que mon affaire est très-délicate, et que j’ai obtenu du roi une belle lettre dont on n’a pas fait grand cas. Ce monde-ci est plaisant, et moi aussi en vérité. Mon Dieu, que j’ai envie de venir philosopher à la Marche ! J’ai trois jours à vivre : que j’en passe un avec vous, et je suis content. Conservez-moi les bontés dont vous m’honorez, et soyez sûr que vous êtes autant aimé que respecté du Vieux de la Montagne. V.

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. À Mervans, bourg dépendant de la terre de la Marche. Cette fondation a été transférée à Châlon-sur-Saône.