Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5757

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Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 314-315).

5757. — À M.  DAMILAVILLE.
7 septembre.

Mon cher frère, ne donnerez-vous pas un de ces quatre volumes diaboliques à frère Protagoras ? Il me semble qu’il n’a pas mal fait de refuser les honneurs qui l’attendaient dans le Nord. Il aurait eu beau se vêtir de peaux de martre, il y aurait laissé la sienne, car sa santé n’est pas digne de ce beau climat ; et, tout bon géomètre qu’il est, il aurait eu peine à résoudre le problème de ce qui vient de se passer au bord de la mer Baltique[1]. On conte cet événement avec des circonstances si atroces qu’on croirait que ce sont des dévots qui ont conduit toute l’aventure. Après tout, cette barbarie n’est pas bien tirée au clair.

Mais les horreurs de ce monde ne doivent pas vous dégoûter de la philosophie. Au contraire, nos philosophes devraient tous sentir qu’ils passent leur vie entre des renards et des tigres, et par conséquent s’unir ensemble et se tenir serrés.

[2]Vous avez sans doute reçu le paquet que je vous envoyai, il y a quelques jours, pour M. Blin de Sainmore. Il se dévoue courageusement à la défense de la vérité, au sujet des Commentaires.

Bonsoir, mon cher philosophe ; il y a peu de vrais frères.

Voudriez-vous bien faire passer cette lettre à frère Protagoras ?

  1. L’assassinat du prince Ivan.
  2. Dans la Correspondance de Grimm, la fin de cette lettre fait partie de celle du 19 septembre, n° 5763.