Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5844

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Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 399-400).

5844. — À M.  LE CLERC DE MONTMERCY.
12 décembre.

Tout ce que vous me dites, mon cher monsieur, sur le Testament du cardinal de Richelieu est d’un vrai philosophe, et ceux qui ont pris parti pour ce testament ne le sont guère ; ceux qui poursuivent le Portatif le sont encore moins. C’est assez d’ailleurs qu’on m’ait imputé cet ouvrage, pour que certaines gens le persécutent. Il est de plusieurs mains. On l’a imprimé d’abord à Liège, ensuite à Amsterdam, et ces deux éditions sont très-différentes ; je n’ai pas plus de part à l’une qu’à l’autre. Si on me désigne dans un réquisitoire, l’orateur méritera la peine des calomniateurs. Je suis consolé en voyant que je n’ai d’ennemis que ceux de la raison ; il est digne d’eux de persécuter un vieillard presque aveugle, qui passe ses derniers jours à défricher des déserts, à bannir la pauvreté d’un canton qui n’avait que des pauvres, et qui, par les services qu’il a rendus à la famille de Corneille, méritait peut-être que ceux qui veulent se piquer d’éloquence ne s’armassent pas si indignement contre lui ; mais tel est le sort des gens de lettres. Le plus dangereux des métiers de ce monde est donc celui d’aimer la vérité ! Encore s’ils étaient unis ensemble, ils imposeraient silence aux méchants ! Mais ils se dévorent les uns les autres ; et les monstres à réquisitoire avalent les carcasses qui restent.

Écrivez-moi, je vous prie, ce qu’on fait et ce que vous pensez. Vous m’apprendrez bien des sottises, et je profiterai de vos bonnes réflexions. J’ose compter sur votre amitié, et vous pouvez être sûr de la mienne.