Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5867
Vous savez à présent, mon cher monsieur, que l’abbé de Condillac est ressuscité ; et ce qui fait qu’il est ressuscité, c’est qu’il n’était pas mort. On ne pouvait s’empêcher de le croire mort, puisque M. Tronchin l’assurait. On peut douter, à toute force, des décisions d’un médecin quand il assure qu’un homme est vivant ; mais quand il le dit mort, il n’y a pas moyen de douter : ainsi nous avons regretté l’abbé de Condillac de la meilleure foi du monde. On avait désespéré de sa vie à Parme avec beaucoup de raison, puisque M. Tronchin n’avait pu le voir dans sa maladie. Dieu merci, voilà un philosophe que la nature nous a conservé. Il est bon d’avoir un loquiste de plus dans le monde, lorsqu’il y a tant d’asinistes, de jansénistes, etc., etc.
Je suis bien aise que vous ayez lu l’Apocalypse[1] d’Abauzit. On ne doutera plus, après cette épreuve, que le Dictionnaire philosophique ne soit de plusieurs mains. Les articles Christianisme et Messie[2] sont faits par deux prêtres. L’arche est abandonnée par les lévites.
Vous ne me parlez plus de votre comédie[3] ; elle aurait fait la clôture de mon théâtre, que je vais détruire. Je suis trop vieux pour être acteur, et les Genevois ne méritent guère qu’on leur donne du plaisir. Jean-Jacques, que vous avez si bien réfuté[4], met tout en combustion dans sa petite république ; il traite le petit conseil de Genève comme il avait traité l’Opéra de Paris. Il avait voulu persuader au parterre que nous n’avions point de musique, et il veut persuader à la ville de Genève qu’elle n’a que des lois ridicules. Je n’ai point encore lu son livre[5], que les magistrats trouvent très-séditieux, et que le peuple trouve très-bon. Diogène fut chassé de la ville de Sinope, mais il ne la troubla pas.
Adieu, monsieur ; s’il vous prend jamais envie de venir passer quelques jours sur les bords du lac, vous nous comblerez de joie. Vous savez que mes yeux ne me permettent pas d’écrire de ma main.
- ↑ Formant aujourd’hui la première section de l’article, tome XVII, page 287.
- ↑ Voyez lettre 5789.
- ↑ Dont Voltaire parle déjà dans sa lettre 5781.
- ↑ Discours sur les avantages des sciences et des arts. C’est une réponse au discours de Rousseau couronné à Dijon en 1750.
- ↑ Lettres écrites de la montagne ; voyez la lettre 5853. Non-seulement Voltaire les avait déjà lues, mais il avait déjà publié le Sentiment des citoyens ; voyez tome XXV, page 309.