Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5924

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Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 467-468).

5924. — À M. ÉLIE DE BEAUMONT.
À Ferney, 27 février.

Mes yeux ne peuvent guère lire, monsieur ; mais ils peuvent encore pleurer, et vous m’en avez bien fait apercevoir. Je ne sais quelle impression faisaient sur les Romains les oraisons pour Cluentius et pour Roscius Amerinus ; mais il me paraît impossible que votre mémoire ne porte pas la conviction dans l’esprit des juges, et l’attendrissement dans les cœurs. Je suis sûr que ce malheureux David[1] est actuellement rongé de remords. Jouissez de l’honneur et du plaisir d’être le vengeur de l’innocence. Toute cette affaire vous a comblé de gloire. Il ne reste plus aux Toulousains qu’à vous faire amende honorable, en abolissant pour jamais leur infâme fête, en jetant au feu les habits des pénitents blancs, gris, et noirs, et en établissant un fonds pour la famille Calas ; mais vous avez affaire à d’étranges Visigoths.

M. Damilaville vous a-t-il parlé d’une autre famille de protestants[2] exécutée en effigie à Castres, fugitive vers notre Suisse, et plongée dans la misère pour une aventure presque en tout semblable à celle des Calas ? On croit être au siècle des Albigeois quand on voit de telles horreurs ; on dit que nous sommes au siècle de la philosophie, mais il y a encore cent fanatiques contre un philosophe. Jugez quelles obligations nous vous avons.

Mille respects, je vous prie, à Mme de Beaumont, qui est si digne de vous appartenir.

  1. Capitoul de Toulouse ; voyez tome XXV, page 21.
  2. Les Sirven ; voyez tome XXV, page 517.