Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5977

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Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 520-522).
5977. — À M. DAMILAVILLE.
5 avril.

Vous êtes obéi, mon cher frère ; ce charmant ouvrage sera imprimé au plus vite et avec le plus grand secret. Que je vous remercie d’avoir encouragé l’auteur inimitable de ce petit écrit à rendre des services si essentiels à la bonne cause ! J’en demande très-humblement pardon à ce Blaise Pascal, mais je le mets bien au-dessous d’Archimède-Protagoras : celui-ci ne verra jamais de précipice à côté de sa chaise, et il bouchera le précipice dans lequel on fait tomber tant de sots[1].

Je vous crois instruit des démarches du parlement de Toulouse, qui a défendu qu’on affichât l’arrêt des maîtres des requêtes, et qui s’est assemblé pour faire au roi de belles remontrances tendantes à faire déclarer bien roués tous ceux qui auront été roués par ledit parlement. Je ne sais pas si ces remontrances auront lieu ; j’ignore jusqu’à quel point la cour ménagera le parlement des Visigoths. C’est dans cette incertitude que j’ai conseillé à la veuve Calas de ne point hasarder la prise à partie sans faire pressentir les deux ministres[2] dont dépend sa pension ; mais je me rendrai à l’avis que vous aurez embrassé.

Vous daignez me demander, par votre lettre du 27 de mars, le portrait d’un homme qui vous aime autant qu’il vous estime : je n’ai plus qu’une mauvaise copie d’après un original fait il y a trente ans, et dans le fond de mes déserts il n’y a point de peintre. Je vous enverrai ce barbouillage, si vous le souhaitez ; mais l’estampe faite d’après le buste de Le Moyne vaut beaucoup mieux.

J’attends tous les jours de Toulouse la copie authentique de l’arrêt qui condamne toute la famille Sirven ; arrêt confirmatif de la sentence rendue par un juge de village, arrêt donné sans connaissance de cause, arrêt contre lequel tout le public se soulèverait avec indignation si les Calas ne s’étaient pas emparés de toute sa pitié.

Je ne conseillerais pas à un auteur de donner une seconde pièce patriotique[3]. Il n’y a que le zèle admirable de M. de Beaumont[4] qui soit inépuisable. Le public se lasse bien vite d’être généreux.

Je suis bien malade ; tout baisse chez moi, hors mes tendres sentiments pour vous. Je me soumets à l’Être des êtres et aux lois de la nature ; mais écr. l’inf…

Je reçois dans le moment la sentence des Sirven. Je les croyais roués et brûlés, ils ne sont que pendus. Vous m’avouerez que c’est trop s’ils sont innocents, et trop peu s’ils sont parricides. Les complices bannis me paraissent encore un nouvel affront à la justice : car, s’ils sont complices d’un parricide, ils méritent la mort. Il n’y a pas le sens commun chez les Visigoths.

Je crois qu’après les Sirven les gens les plus à plaindre sont ceux qui liront ce griffonnage.

  1. Cet alinéa n’appartient pas à cette lettre. Il a été écrit le 26 décembre 1764. (G. A.)
  2. Le contrôleur général et le vice-chancelier.
  3. Après le Siège de Calais.
  4. Pour les Calas et les Sirven.