Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6001
Mes divins anges, il me paraît que le tripot est un peu troublé. Si les comédiens étaient assez fermes pour dire : « Nous ne pouvons faire les fonctions de notre état, si on l’avilit ; nous sommes las d’être mis en prison si nous ne jouons pas, et d’être excommuniés si nous jouons ; dites-nous à qui nous devons obéir, du roi ou d’un habitué de paroisse : mettez-nous au dernier rang des citoyens, mais laissez-nous jouir des droits qu’on accorde aux gadouards, aux bourreaux et aux Fréron ; » si, dis-je, ils tenaient ce langage, et s’ils le soutenaient, il faudrait bien composer avec eux ; mais la difficulté sera toujours d’attacher le grelot.
Je me flatte que vous avez été un peu amusés par les dernières feuilles de l’abbé Bazin[1]. Si je peux en attraper encore, j’aurai l’honneur de vous en faire part. Il y aura des misérables qui, malgré les protestations honnêtes et respectueuses de l’abbé, croiront toujours qu’il a eu des intentions malignes ; mais il faut les laisser crier.
Je ne sais à qui en a le tyran du tripot ; mon cher ange a fait tout ce qu’il devait. Si le tyran persiste dans sa lubie, mon ange n’ayant rien à se reprocher l’abandonnera à son sens réprouvé.
On n’a donc point voulu permettre le débit de la Destruction Jésuitique, qui est aussi la destruction des jansénistes. Tous ces marauds-là en ites et en istes, et en iens, sont également les ennemis de la raison ; mais la raison perce malgré eux, et il faudra bien qu’à la fin ils n’aient d’empire que sur la canaille. C’est à mon gré le plus grand service qu’on puisse rendre au genre humain, de séparer le sot peuple des honnêtes gens pour jamais ; et il me semble que la chose est assez avancée. On ne saurait souffrir l’absurde insolence de ceux qui vous disent : Je veux que vous pensiez comme votre tailleur et votre blanchisseuse.
Mes anges, je baise le bout de vos ailes.
- ↑ C’est sous le nom de Bazin que Voltaire avait publié la Philosophie de l’Histoire.