Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6030

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Correspondance de Voltaire/1765
Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 567).

6030. — À M. DAMILAVILLE.
À Genève, 27 mai.

J’affligerai votre belle âme en vous disant, mon cher ami, que nous ne pourrons pas avoir sitôt l’arrêt de Toulouse. Je supplie, en attendant, le défenseur de l’innocence de tenir toujours son mémoire tout prêt. Il y a trois ans que cette famille est dans les larmes. On a essuyé celles des Calas, c’est à présent le tour des Sirven. Ces horreurs sont d’autant plus effrayantes qu’elles se passent dans un siècle plus éclairé. C’est un affreux contraste avec la douceur de nos mœurs. Voilà le funeste effet du système de l’intolérance. Il y a encore de la barbarie dans les provinces. Je ne plains plus les Calas, après le jugement des maîtres des requêtes et après les bienfaits du roi ; mais les Sirven sont bien à plaindre. Je les recommande plus que jamais aux bontés de M. de Beaumont.

Après vous avoir parlé des malheurs d’autrui, il faut que votre amitié me permette encore de parler de mes peines.

Je lisais ce matin un livre anglais dans lequel se trouve la substance de plus de vingt chapitres du Dictionnaire philosophique, que l’ignorance et la calomnie m’ont si grossièrement imputé ; et, pour comble de bêtise, il y a dans d’autres chapitres des phrases entières prises de moi mot pour mot. Je me mettrais dans une belle colère, si l’âge et les maladies n’affaiblissaient les passions. Tronchin m’exhorte à la résignation pour les maux du corps et de l’âme ; il me trouve très-bien disposé. Comptez que votre amitié fait ma plus chère consolation.