Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6040

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Correspondance de Voltaire/1765
Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 576).

6040. — À M. DE VARENNES,
receveur des tailles à montargis.

M. Clairaut, monsieur, n’eut aucune part à la philosophie leibnitzéenne, dans laquelle Mme du Châtelet mit autant de clarté que Leibnitz avait jeté d’obscurité. Elle la rendit même si claire que presque tous les lecteurs furent désabusés des imaginations de Leibnitz. Il n’en fut pas de même du commentaire algébrique sur Newton. Comme il ne s’agissait que de vérités, Mme du Châtelet consulta M. Clairaut : il vérifia tous les calculs, il travailla beaucoup avec elle ; mais Mme du Châtelet eut la gloire d’avoir travaillé seule à la traduction des principes de Newton, ouvrage qui aurait fait honneur à un académicien.

J’ai retrouvé la copie d’une lettre que j’écrivis à M. Clairaut il y a quelques années[1]. Je vous l’envoie ; elle pourra figurer dans les notes de votre ouvrage. C’est la même que vous me citez dans votre avant-dernière lettre : elle sera du moins un témoignage de l’amitié qui me liait à l’illustre M. Clairaut. Cette amitié me flattait, et je ne croyais pas lui survivre. Nous avons fait une grande perte ; mais le public ne la sent pas assez. Il ne sait pas combien les gens de mérite, en ce genre, sont en petit nombre. Nous avons tout au plus trois ou quatre géomètres astronomes ; s’ils manquaient, on serait tout étonné de n’avoir pas un seul homme qui sût faire une observation ; et il y a mille personnes qui lisent les feuilles périodiques, contre une qui s’instruit dans les ouvrages de M. Clairaut.

Je m’intéresse au monument que vous élevez à sa gloire ; il méritait d’être célébré par vous.

  1. 27 août 1759, lettre 3914 ; voyez tome XL, page 158.