Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6119
Mon cher grand acteur, vous voyez comme ce public approuve aujourd’hui ce qu’il condamnait hier, et condamne ce qu’il approuvait. Il n’appartient qu’au temps de fixer nos têtes de girouette. J’ai chez moi deux leçons d’Adélaïde fort différentes l’une de l’autre ; je soupçonne que la pièce, telle qu’on l’a jouée en dernier lieu, diffère encore de mes deux exemplaires. Je vous prie de m’envoyer l’exemplaire sur lequel vous vous êtes déterminé, afin qu’ayant confronté le tout je puisse en former une pièce passable, que je vous ferai parvenir avec une petite préface à la louange des Welches qui ne changent jamais d’opinion. J’ai grand’peur que vous ne les ayez séduits, et qu’ils n’aient pris vos talents pour de beaux vers.
Je vous remercie du petit relevé de la reprise d’Oreste[2] que vous m’avez envoyé. Pourriez-vous pousser vos recherches et votre amitié pour moi jusqu’à m’instruire du nombre de représentations qu’Oreste a eues depuis cette reprise, et de la recette de ces représentations ? car on dit que c’est la recette qui est le thermomètre du succès. Je voudrais bien obtenir aussi que vous me fissiez la même grâce
Sur l’Électre française[3] à la mode soumise,
Pour le galant Itys si galamment éprise.
Je suis curieux de savoir l’histoire de mon siècle.
Vous pourriez mettre le tout dans une enveloppe de toile cirée, ficelée, à la diligence de Lyon, à l’adresse de votre serviteur :
Par la diligence de Lyon pour la messagerie de Genève.
Je vous embrasse bien tendrement, cher soutien des spectacles et des plaisirs des Welches et des Français.