Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6241

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 190).
6241. — À M. DAMILAVILLE.
20 janvier.

Mon cher frère, je souhaite la bonne année à Mme Calas par le petit billet que je vous adresse, et vous la lui donnerez par l’estampe que vous lui destinez.

Je peux donc me flatter de voir le mémoire de Sirven ! Le véritable Élie n’obtiendra peut-être pas un arrêt d’attribution, mais il obtiendra un arrêt d’approbation au tribunal du public. Il sera regardé comme le protecteur de l’innocence, et, tant qu’il sera au barreau, il sera le refuge des opprimés.

Je voudrais bien savoir ce qu’a dit Protagoras en voyant ce petit extrait auquel il ne s’attendait point du tout[1].

Platon[2] était peut-être le seul homme capable de faire l’Histoire de la Philosophie. Quand il sera aux deux premiers siècles de notre ère vulgaire, un autre serait embarrassé, et c’est où il triomphera.

Quelle horreur de persécuter les philosophes ! Les Romains, plus sages que nous, n’ont pas persécuté Lucrèce. Jamais personne n’a parlé plus hardiment que Cicéron, et il a été consul ; mais il n’avait pas affaire à des Welches. Il convient à des Welches que Fréron s’enivre à Paris, et que je meure au pied des Alpes.

Les tracasseries de Genève continuent, mais elles sont à pouffer de rire. Les deux partis se jouent tous les tours imaginables, avec toute la discrétion possible. Les médiateurs seront bien étonnés quand ils verront qu’on les fait venir pour une querelle de ménage dont il est difficile de trouver le fondement : c’est faire descendre Jupiter du ciel pour arranger une fourmilière. Le plaisant de l’affaire, c’est que l’origine de toute cette belle querelle est que la ville de Calvin, où l’on brûla autrefois Servet, a trouvé mauvais qu’on ait brûlé le Vicaire savoyard. Il me semble que les Parisiens n’ont rien dit quand on a brûlé le poème de la Loi naturelle.

Les comédiens ont-ils donné quelque chose de nouveau à la rentrée ? Comment vous portez-vous ? Je n’en peux plus ; je me résigne, et je vous aime. Écr. l’inf…

  1. Sans doute l’extrait d’inscription au livre des pensions, délivré alors à d’Alembert après la mort de Clairaut. (Note de la Correspondance de Grimm.)
  2. Diderot.