Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6246

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 195-196).

6246. — À M. DAMILAVILLE.
25 janvier.

Mon cher frère, vous souvenez-vous d’un certain mandement de l’archevêque de Novogorod, que je reçus de Paris la veille de votre départ ? J’en ignore l’auteur, mais sûrement c’est un prophète.

Figurez-vous que la lettre de M. le prince de Gallilzin en renfermait une de l’impératrice qui daigne m’apprendre qu’en effet l’archevêque de Novogorod a soutenu hautement le vrai système de la puissance des rois[1] contre la chimère absurde des deux puissances. Elle me dit qu’un évêque de Rostou, qui avait prêché les deux puissances, a été condamné par le synode auquel l’archevêque de Novogorod présidait, qu’on lui a ôté son évêché, et qu’il a été mis dans un couvent. Faites sur cela vos réflexions, et voyez combien la raison s’est perfectionnée dans le Nord.

Notre grand Tronchin ne vous apporte rien, parce que je n’ai rien. Les chiffons dont vous me parlez ont été bien vite épuisés. Boursier jure qu’il vous a envoyé les nos 18 et 19[2]. Fauche n’envoie point les ballots ; je ne reçois rien, et je meurs d’inanition.

Il pleut tous les jours à Genève de nouvelles brochures ; ce sont des pièces du procès qui ne peuvent être lues que par les plaideurs.

La querelle de Rousseau sur les miracles a produit vingt autres petites querelles, vingt petites feuilles dont la plupart font allusion à des aventures de Genève, dont personne ne se soucie. On m’a fait l’honneur de m’attribuer quelques-unes de ces niaiseries. Je suis accoutumé à la calomnie, comme vous savez.

Je ne saurais finir sans vous parler de sainte Geneviève. Il est bon d’avoir des saints, mais il est encore mieux de se résigner à Dieu. Il est utile même que le peuple soit persuadé que la vie et la mort dépendent du Créateur, et non pas de la sainte de Nanterre. C’est le sentiment de tous les théologiens raisonnables, et de tous les honnêtes gens éclairés. Écr. l’inf…

  1. Une copie qui m’est parvenue récemment de la lettre de Catherine, du 17-28 novembre 1765 (n° 6167 ; voyez page 123), contenait, après le second alinéa, le passage inédit que voici :

    « Les sujets de l’Église souffrant des vexations souvent tyrannique, auxquelles les fréquents changements de maîtres contribuaient encore beaucoup, se révoltèrent vers la fin du règne de l’impératrice Élisabeth, et ils étaient à mon avènement plus de cent mille en armes. C’est ce qui fit qu’en 1762 j’exécutai le projet de changer entièrement l’administration des biens du clergé, et de fixer ses revenus. Arsène, évêque de Rostou, s’y opposa, poussé par quelques-uns de ses confrères, qui ne trouvèrent pas à propos de se nommer. Il envoya deux mémoires où il voulait établir le principe des deux puissances. Il avait déjà fait cette tentative du temps de l’impératrice Élisabeth. On s’était contenté de lui imposer silence. Mais son insolence et sa folie redoublant, il fut jugé par le métropolitain de Novogorod et par le synode entier, condamné comme fanatique, coupable d’une entreprise contraire à la foi orthodoxe autant qu’au pouvoir souverain, déchu de sa dignité et de la prêtrise, et livré au bras séculier. Je lui fis grâce, et je me contentai de le réduire à la condition de moine. »

    Le passage de la lettre de Voltaire à Damilaville prouve, ce me semble, l’authenticité du fragment que je viens de transcrire. (B.)

    — On pourrait croire aussi, d’après l’avant-dernier paragraphe de la lettre 6367, que ce fragment faisait partie d’un mémoire, distinct de la lettre 6167, adressé par Catherine à Voltaire.

  2. Les XVIIIe et XIXe des Lettres sur les miracles ; voyez tome XXV, pages 439 et 441.