Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6465

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 393-394).

6435. — À M.  ÉLIE DE BEAUMONT.
Le 20 auguste.

J’ai reçu, mon cher Cicéron, une lettre du 8 août (puisque les Welches ont fait août d’auguste) ; cette lettre m’a transporté de joie. J’ai vu que le plus généreux de tous les hommes me donne le titre de son ami. Je veux mériter et conserver, jusqu’au dernier moment de ma vie, un titre qui m’est si cher. J’ai sur-le-champ dressé de petits mémoires pour M.  le duc de Praslin, M. le duc de Choiseul et M.  de Saint-Florentin, que Mme  de Saint-Julien, parente de M.  le duc de Choiseul, et qui est actuellement chez moi, doit porter à Paris. Elle part dans deux jours, et nous servira de tout son pouvoir.

Mais aujourd’hui je reçois une lettre du 11 d’août qui me perce le cœur. Vous n’y êtes plus mon ami, vous m’écrivez monsieur. Fi ! que cela est horrible de se rétracter ! Je ne veux pas vous en croire ; je m’en tiens à la première lettre, et je déchire la seconde. J’ai déjà répondu à la première, et cette petite réponse[1] vous parviendra dans le paquet de M.  Damilaville, dont Mme  de Saint-Julien a bien voulu encore se charger.

Je vous répète ici combien je m’intéresse à l’affaire qui vous regarde, et à quel point je suis étonné que M.  de La Luzerne n’ait pas pleinement gagné son procès. Je suis persuadé que vous viendrez à bout de tout ; mais je vous dirai toujours que, si nous n’obtenons pas l’évocation pour les Sirven, je suis bien sûr que vous obtiendrez les suffrages de tout le public. L’esquisse du mémoire que vous eûtes la bonté de m’envoyer, il y a quelques mois, me parut devoir produire un morceau admirable, fait pour être lu avec avidité par tous les ordres de l’État, et pour confirmer la haute réputation où vous êtes. La véritable éloquence, et même la langue, sont d’ordinaire trop négligées à votre barreau, et les plaidoyers de nos avocats n’entrent point encore dans les bibliothèques des nations étrangères. Je ne connais guère que votre mémoire pour les Calas qui ait eu de la réputation en Europe ; il a été lu jusqu’à Moscou.

Adieu, mon cher Cicéron. Je me mets aux pieds de madame votre femme. Ne m’ôtez jamais le beau titre que vous m’avez donné.

  1. Elle est perdue ; voyez la fin de la lettre 6530.