Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6468
Le roi de Prusse, mon cher philosophe, me mande[1] qu’il aurait condamné ces cinq jeunes gens à marcher quinze jours chapeau bas, à chanter des psaumes, et à lire quelques pages de la Somme de saint Thomas. Gardez-vous bien de dire à qui il a écrit ce jugement de Salomon. Il faut qu’on tourne les yeux vers le Nord, le Midi n’a que des marionnettes barbares. Vous savez qu’on vient de donner en Scythie le plus beau, le plus galant, le plus magnifique carrousel[2] qu’on ait jamais vu : mais on n’y a brûlé personne pour n’avoir pas ôté son chapeau. Je suis fâché que vous ne soyez pas là. Tout ce que j’apprends de votre pays fait hausser les épaules et bondir le cœur. Je crois que vous verrez bientôt le mémoire d’Élie de Beaumont en faveur des Sirven, et que vous en serez plus content que de celui des Calas.
Je recommande les Sirven à votre éloquence. Parlez pour eux à ceux qui sont dignes que vous leur parliez ; échauffez les tièdes : c’est une belle occasion d’inspirer de l’horreur pour le fanatisme.
Si vous avez oublié l’ami Vernet, voici une occasion de vous souvenir de lui. On dit que cette autre tête de bœuf dont la langue doit être fumée[3] mugit beaucoup contre moi. En avez-vous ouï dire quelque chose ? Je brave ses beuglements et ceux des monstres qui peuvent crier avec lui. J’ai peu de temps à vivre, mais je ne mourrai pas la victime de ces misérables. Je mourrai en souhaitant que la nature fasse naître beaucoup de Français comme vous, et qu’il n’y ait plus de Welches.
Je voulais vous envoyer une facétie sur Vernet[4], je ne la retrouve point ; la perte est médiocre.
Ah ! mon cher maître ! que les philosophes sont à plaindre ! Leur royaume n’est pas de ce monde[5], et ils n’ont pas l’espérance de régner dans un autre.
Monstres persécuteurs, qu’on me donne seulement sept ou huit personnes que je puisse conduire, et je vous exterminerai.