Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6592
Il y a trois heures que j’ai reçu le cinquième volume[1], mon très-cher philosophe. Ce que j’en ai lu m’a paru digne de vous. Je ne puis vous donner un plus grand éloge. Quoi ! vous dites dans l’avertissement que l’Apologie de l’étude n’a pas été heureuse dans l’assemblée où elle fut lue[2] ! Êtes-vous encore la dupe de ces assemblées ? Ne savez-vous pas que le Catilina de Crébillon fut reçu avec transport ?
« Aspice auditores torvis oculis, percute pulpitum fortiter, die nihil ad propositum, et bene prædicabis. »
Votre Apologie de l’étude est un morceau excellent, entendez-vous ? N’allez pas vous y tromper.
Je vous rendrai compte incessamment du manuscrit que votre ami a envoyé à M. Boursier[3]. Il faut attendre que la fermentation de la fourmilière de Genève soit un peu apaisée.
À l’égard de l’ami Vernet, il est dans la boue avec Jean-Jacques, et ni l’un ni l’autre ne se relèveront.
Il y a aussi bien des gens qui barbotent dans Paris. En vérité, mon cher philosophe, je ne connais guère que vous qui soit clair, intelligible, qui emploie le style convenable au sujet, qui n’ait point un enthousiasme obscur et confus, qui ne cherche point à traiter la physique en phrases poétiques, qui ne se perde point dans des systèmes extravagants.
À l’égard de l’ouvrage sur les courbes[4], je vous répète encore que c’est ce que j’ai vu de mieux sur cette matière.
Puisque vous daignez mettre le petit buste[5] d’un petit vieillard sur votre cheminée avec des magots de la Chine, je vais commander un nouveau magot à celui qui a imaginé cette plaisanterie. J’aimerais bien mieux avoir votre portrait au chevet de mon lit, car je suis de ces dévots qui veulent avoir leur saint dans leur alcôve.
J’oubliais de vous dire que j’ai été très-fâché qu’on ait mis sur mon compte la Lettre au docteur Pansophe, qui est fort plaisante, à la vérité, mais où il y a des choses trop longues et trop répétées, et dans laquelle on voit même des naïvetés tirées de Candide. Cette lettre est de l’abbé Coyer. Il devrait avoir au moins le bon procédé, et même encore la vanité, de l’avouer ; en la mettant sous mon nom, il me met en contradiction avec moi-même, lorsque je proteste à M. Hume que je n’ai rien écrit à Jean-Jacques depuis sept[6] à huit ans. Je l’ai prié très-instamment de ne me point faire ce tort ; il s’en ferait à lui-même. Il veut être de l’Académie, et je pense que l’Académie n’aime pas ces petits tours de passe-passe.
Je vous embrasse de tout mon cœur ; je vous salue, lumière du siècle
- ↑ Des Mélanges de littérature.
- ↑ l’Apologie de l’étude avait été lue dans la séance publique de l’Académie française du 13 avril 1761.
- ↑ La Lettre à M. ***, conseiller au parlement, dont il est parlé tome XLIII, page 473, et ci-dessus, page 241.
- ↑ Voltaire désigne ici l’ouvrage de d’Alembert, intitulé Sur la Destruction des jésuites, etc.
- ↑ Le buste de Voltaire, exécuté par un ouvrier de Saint-Claude.
- ↑ Voyez tome XXVI, page 29.