Aller au contenu

Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6593

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 514-516).
6593. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].
28 novembre.

Je reçois la lettre de mes animes datée du 22. J’envoie à M. le duc de Praslin un second exemplaire du livre de jurisprudence[2] qu’il m’a ordonné de lui faire parvenir. Je le mets dans un paquet à son adresse. J’envoie ce paquet à M. Janel avec un autre exemplaire du même livre en feuilles, que j’ai reçu de Franche-Comté, et dont je lui fais présent.

La perte du paquet de M. le duc de Praslin me fait craindre pour la tragédie que j’avais eu l’honneur de lui envoyer. Le manuscrit lui fut dépêché dans le paquet de M. le chevalier de Beauteville. Je vous ai envoyé des corrections depuis, les unes adressées à M. le duc de Praslin, les autres à M. Marin, sous le couvert de M. de Sartines. J’envoie aujourd’hui au même M. Marin l’Avis sur le procès des Sirven, dont les exemplaires sont devenus très-rares.

Vous voyez, mes chers anges, que je suis un homme exact, quoique les faiseurs de tragédies n’aient pas cette réputation. M. du Clairon, qui n’a fait que la moitié d’une tragédie[3], n’est point exact. Il ne serait pas mal que M. le duc de Praslin eût la bonté de l’engager à faire les recherches nécessaires. Je suis convaincu que c’est un nommé La Beaumelle qui a envoyé à Amsterdam, au libraire nommé Schneider, mes prétendues lettres, avec les additions et les notes les plus criminelles contre le roi et contre les ministres. Cela est si vrai que dans une édition d’Avignon[4], sous le nom de Lausanne, l’éditeur dit : Nous n’imprimons pas les autres lettres, parce que M. La Beaumelle les a déjà données au public.

Ce La Beaumelle est un petit huguenot, autrefois réfugié, confiné actuellement en Languedoc, sa patrie. Il travaille toujours de son premier métier ; il avait falsifié ainsi le Siècle de Louis XIV ; il l’avait chargé de notes horribles contre la famille royale. Il fut enfermé à Bicêtre, où il devrait être encore. Le fou de Verberie[5] n’était pas assurément si coupable que lui.

Mais mon alibi me tient bien plus au cœur. Je suis en peine de savoir si mes anges ont reçu tous mes paquets gros et petits.

Si d’ailleurs ils trouvent le nom de Smerdis trop désagréable pour des Français, il n’y a qu’à prononcer Serdis aux deux premières représentations ; après quoi on restituera au prince d’Ecbatane, fils de Cyrus, son nom propre.

J’écris en droiture à mes anges toutes ces petites lettres, afin qu’il n’y ait point de temps perdu. Je me recommande à mon ordinaire à leurs extrêmes bontés, qui font la consolation de ma vie.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Le Commentaire sur Beccaria.
  3. Cromwell, que Morand, disait-on, avait commencé.
  4. Voltaire peint par lui-même.
  5. J. Rinquet, condamné à mort en 1762.