Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6615
Je vous suis très-obligé, monsieur, des deux livres que vous voulez bien me confier, et que je vous rendrai très-fidèlement dès que je les aurai consultés. J’espère les recevoir incessamment. L’abbé Coyer me jure qu’il n’est point l’auteur de la Lettre à Pansophe : c’est donc vous qui l’êtes ? Vous dites que ce n’est pas vous : c’est donc l’abbé Coyer. Il n’y a certainement que l’un de vous deux qui puisse l’avoir écrite. Le troisième n’existe pas. De plus, vous étiez tous deux à Londres à peu près dans le temps que cette lettre parut. Il n’y a que vous deux qui puissiez connaître les Anglais dont on trouve les noms dans cette pièce. Le style en est parfaitement conflorme à la Profession de foi[1] très-plaisante que vous fîtes, il y a quelques années, entre les mains de Jean-Jacques.
Vous avez très-grande raison d’avouer que ce Jean-Jacques a quelquefois de la chaleur dans ses déclamations, et qu’il est souvent contraint, obscur, insolent, hérissé de sophismes, et plein de contradictions. Si vous vouliez ajouter, à cette confession générale, que vous vous êtes réjoui fort agréablement à ses dépens dans la Lettre à Pansophe, vous auriez une absolution pléniére, sans être obligé ni à la pénitence ni au repentir, et vous seriez certainement sauvé chez tous les gens de lettres.
Je ne trouve donc dans cette publication de la Lettre à Pansophe d’autre défaut, sinon qu’elle me met en contradiction avec moi-même comme Jean-Jacques. Je dis à M. Hume[2] qu’il y a plus de sept ans que je n’ai écrit à ce polisson, et cela est très-vrai. La Lettre à Pansophe semble me convaincre du contraire. Vous m’avez toujours marqué de l’amitié : je vous en demande instamment cette preuve. La Lettre à Pansophe vous fait honneur, et me ferait du tort. Vous avouez l’ode[3] que vous avez mise sous mon nom ; avouez donc aussi la prose, et croyez qu’en vers et en prose je connais tout votre mérite, et que je vous suis tendrement attaché.