Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6616

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 537-539).

6616. — À M. DAMILAVILLE.
15 décembre.

J’ai reçu à la fois, mon cher ami, vos lettres du 6 et du 8 de décembre. Il y a de la destinée en tout : la vôtre est de faire du bien, et même de réparer le mal que la négligence des autres a pu causer. Il est très-certain que si M. de Beaumont n’avait pas abandonné pendant dix-huit mois la cause des Sirven, qu’il avait entreprise, nous ne serions pas aujourd’hui dans la peine où nous sommes. Il ne lui fallait que quinze jours de travail pour achever son mémoire : il me l’avait promis. Ce mémoire lui aurait fait autant d’honneur que celui de M. de La Luzerne lui a causé de désagrément. Ce fut dans l’espérance de voir paraître incessamment le factum des Sirven que l’on composa l’Avis au public[1]. C’est cet Avis au public qui a valu aux Sirven les deux cent cinquante ducats que vous avez entre les mains, les cent écus du roi de Prusse, et quelques autres petits présents qui aideront cette famille infortunée. J’ai empêché, autant que je l’ai pu, que le petit Avis entrât en France, et surtout à Paris ; mais plusieurs voyageurs y en ont apporté des exemplaires ; ainsi ce qui nous a servi d’un côté nous a extrêmement nui de l’autre.

Voilà le triste effet de la négligence de M. de Beaumont. Je vous prie de lui bien exposer le fait, et surtout de lui dire, ainsi qu’aux autres avocats, que s’il y a dans ce petit imprimé quelques traits contre la superstition de Toulouse, il n’y a rien contre la religion. L’auteur, tout protestant qu’il est, ne s’est moqué que des reliques ridicules portées en procession par les Visigoths ; il n’a dit que tout ce que les gens sensés disent dans notre communion. Si ce petit ouvrage, fait pour les princes d’Allemagne, et non pour les bourgeois de Paris, révolte quelques avocats, ou si plutôt il leur fournit un prétexte de ne point signer la consultation de M. de Beaumont, c’est assurément un très-grand malheur. Il n’y a que vous qui puissiez le réparer en leur faisant entendre raison, et les faisant rougir du dégoût qu’ils donnent à leurs confrères. Vous mettez le comble à toutes vos bonnes actions en suivant avec chaleur cette affaire, qui sans vous échouerait entièrement. Ce dernier trait de votre vertu courageuse m’attache à vous plus que jamais.

La petite affaire de M. de Lemberta avec M. Boursier est en train : on fera une partie de ce qu’il désire, c’est-à-dire qu’on exécutera ses ordres[2], et qu’on ne lui donnera point d’argent. En attendant, je vous prie de lui avancer les cent écus dont vous serez remboursé.

Mon cher Wagnière a prêté cinquante louis, qui font toute sa fortune[3], à un correspondant de l’enchanteur Merlin, qui lui a donné deux billets de Merlin, de vingt-cinq louis chacun ; le premier payable au mois de juillet de cette année, et le second au mois de janvier 1767. Je vous prie très-instamment de préparer Merlin à payer cette dette sans aucune difficulté. Il serait triste que Wagnière eût à se repentir d’avoir fait plaisir. Je sais que Merlin doit de l’argent aux Cramer ; mais Wagnière doit passer devant tout le monde. Vous ne reconnaissez point sa main dans cette lettre que je dicte, il est actuellement occupé à transcrire la tragédie[4], que l’on doit vous montrer. M. d’Argental n’en a qu’une copie très-informe et très-barbouillée : je l’ai prié de la jeter dans le feu, en attendant la véritable.

Je vous ai mandé, je crois, que j’avais écrit à M. de Courteilles[5]. Je voudrais bien savoir le nom de l’auteur du petit ouvrage sur les Commissions. On dit qu’il est de M. Lambert[6], conseiller au parlement ; mais c’est ce dont je doute beaucoup. Adieu, mon cher ami ; il ne reste que la place de vous dire à quel point je vous chéris.

  1. Voyez tome XXV, page 317.
  2. Une nouvelle édition avec corrections et additions de l’opuscule sur la Destruction des jésuites.
  3. Voici ce que Wagnière écrivait le 26 décembre 1766 :

    « Je n’ai pu retrouver, monsieur, dans le désordre où nous sommes, le billet de douze cents livres. Je vous prie de m’adresser toujours vos lettres à Genève. Voici un petit billet par lequel j’annule tous les autres billets. Ainsi, les choses sont en règle. Vos amis vous font les plus tendres compliments. Ayez la bonté de n’écrire qu’à moi. J’ai l’honneur d’être bien sincèrement, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

    « Wagnière. »

    C’est de la Correspondance de Grimm que j’ai extrait ce billet. (B.)

  4. Les Scythes.
  5. Cette lettre manque.
  6. L’ouvrage est de Chaillou.